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XVIII

Les Tyrrhéniens.


Voici deux navires : l’un d’apparat ; l’autre à usage de pirates. Le premier est dirigé par Dionysos, l’autre est monté par les Tyrrhéniens qui infestent les parages voisins de leur pays. Dans la galère, les bacchantes célèbrent, en frémissant, les cérémonies sacrées et Dionysos préside ; une harmonie, celle qu’on entend dans les mystères, retentit sur la mer qui, s’aplanissant pour Dionysos, paraît aussi unie que le sol lydien. Saisis de folie, les matelots de l’autre vaisseau oublient de ramer ; beaucoup d’entre eux n’ont déjà plus de mains. Quel est donc le sujet de ce tableau ? c’est, mon enfant, la tentative des Tyrrhéniens pour surprendre Dionysos. Car ils ont entendu dire que Dionysos est un efféminé, un charlatan ; que son navire était comme une mine d’or, tant il contient de richesses ; qu’il est suivi de femmes lydiennes, de satyres, de joueurs de flûte, d’un vieillard portant férule ; qu’il boit le vin de Maronée et que Maron lui-même fait partie de son cortège. Ils savent aussi que les Pans naviguent avec Dionysos ; emmener les bacchantes et livrer à ces dieux, qui ont forme de boucs, des chèvres nées sur la terre tyrrhénienne, tel est leur projet. Le navire des pirates est armé en guerre : outre les épotides et l’éperon dont il est muni, il possède des mains de fer, des lances à pointe acérée, de longs bâtons, munis de faux à leur extrémité. Pour semer l’effroi sur son passage, pour apparaître aux yeux de l’ennemi comme une bête monstrueuse, il est couleur vert de mer et ouvre à sa proue deux yeux menaçants qui semblent regarder ; sa poupe, amincie en forme de croissant, ressemble à la queue recourbée des poissons. Le navire de Dionysos est comme une masse rocheuse, si ce n’est que la poupe a l’air d’être formée d’écailles, elle disparaît en effet sous les cymbales qui se recouvrent l’une l’autre, utile précaution au cas où les Satyres, appesantis par le vin, céderaient au sommeil : car Dionysos ne saurait voguer en silence. Quant à la proue, elle présente, en saillie, l’image d’une panthère dorée. Cet animal est cher à Dionysos parce que de toutes les bêtes, c’est la plus ardente, parce qu’elle bondit avec la légèreté d’une Ménade. Tu vois d’ailleurs, sur le vaisseau même de Dionysos, une vraie panthère qui s’élance contre les Tyrrhéniens avant même que le dieu lui en ait donné l’ordre. Voici un thyrse qui du milieu du navire s’est dressé en guise de mât ; il soutient des voiles de pourpre dont l’éclat chatoie dans l’ombre des plis, et sur lesquelles se détachent, brodées en or, les bacchantes du Tmolos et les aventures de Dionysos en Lydie. Que le