Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/309

Cette page n’a pas encore été corrigée

n’étaient point sonillés au point de laisser le spectateur incertain au sujet de leur nuance. D’un autre côté, comme nous le montrons ailleurs, c’est un préjugé de croire que les artistes anciens évitaient de représenter le sang et les blessures ; pour être constamment gracieux, l’art grec ne tombe pas dans une fausse et puérile délicatesse. Un peuple, qui a des légendes terribles, ne redoute point, dans l’art, les effets tragiques.

Penthée était le petit fils de Cadmos et d’Harmonie. Dans Euripide, Dio- nysos, paraissant sur le théâtre à la fin de la pièce, parle ainsi à Cadmos : « Tu seras métamorphosé en dragon, et la fille de Mars, Harmonie, que tu épouseras, quoique simple mortel, prendra la forme d’un serpent (1). » Le peintre de notre tableau, se souvenant de ce passage, avait représenté Cad- mos et Harmonie au moment de leur transformation. Y à. lieu de blà- mer l’artiste de s’être ici inspiré du poète ? Un commentateur (2) a prétendu que l’art antique représentait le résultat de la métamorphose, non la méta- morphose elle-même. C’est une erreur que nous réfutons ailleurs. Un au- tre (3) trouve que cette métamorphose de Cadmos et d’Harmonie n’ayant aucun rapport avec le meurtre de Penthée est un véritable hors-d’œuvre. Si l’observation est juste, Euripide et le peintre ont mérité le mème repro- che, mais Euripide a pris soin de se justifier, et partant a justifié le peintre qui l’a suivi : « Montés sur un chariot traîné par des bœufs, dit Dionysos à Gadmos et Harmonie, vous montrerez le chemin aux barbares. A la tête d’une armée innombrable, tu détruiras une foule de villes, mais, quand ils ravage- ront le temple prophétique d’Apollon, ils auront un funeste retour. Mars te délivrera ainsi qu’Harmonie et vous transportera dans la terre des bienheu- reux. Ce n’est pas le fils d’un père mortel, c’est Bacchus issu de Jupiter qui vous parle en ce moment. Si vous aviez su être sages au lieu de vous aban- donner à l’erreur, vous seriez heureux grâce à la protection du fils de Jupi- ter (4). » Ainsi, selon Euripide, la colère du dieu relombe sur Cadmos et Harmonie ; ils sont coupables pour avoir eu un fils sacrilège. Le crime de Penthée a pour conséquence l’abaissement de sa maison. Ces différents événements ayant été liés entre eux soit par la légende, soit par le caprice du poète,.il était naturel que le peintre les réunit dans le même tableau. — D’ailleurs la pièce d’Euripide était si connue dans l’antiquité que les specta- teurs d’une peinture, qui représentait la mort de Penthée, devaient y cher- cher des yeux, au milieu des autres personnages prenant part à l’action, Harmonie et Gadmos, ces deux victimes innocentes de la colère d’un dieu, ces deux ancêtres qui assistent à la mort de leur petit-fils, à la ruine de leurs espérances, frappés dans l’avenir comme dans le présent. Le dénoûment



(1) Eur., Bacch., 1332.

(2) Friderichs, Die Phil. Bilder.

(3) Matz, De Phil. file, 110, note 1.

(4) Eur., Bacch., 1334, traduct. Pess., II, p. 127.