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même sujet, telle Ménade joue de la flûte, telle autre entre-choque les cym- bales ; les Satyres jouent de la flûte ou de Ja lyre (1). Gombien notre peintre nous paraît plus exact observateur des convenances ! combien nous aimons mieux ce silence du cortège bachique, épris lui-même d’admiration et res- pectant la muette contemplation de Dionysos ! Un critique a cependant trouvé que Bacchus n’était pas assez calme et que Pan l’élait trop (2) ; le reproche ne nous paraît pas fondé ; l’ivresse dont parle Philostrate se lit dans le regard ; elle n’exclut point la dignité de l’attitude, la tranquillité du geste ; et quant au dieu Pan, associé à une scène, qui doit se passer au milieu du silence, il doit par cela mème perdre quelque chose de son tempérament lascif. On a critiqué aussi l’absence d’Eros ; mais si, dans ce sujet, Eros est quelquefois à côté du dieu pour lui montrer Ariadne et l’arracher en quel- que sorte à son admiration contemplative, souvent aussi l’artiste a cru pou- voir se passer de ce personnage allégorique, et ce n’est pas nous qui lui en ferons un reproche ; en tout cas la présence d’Eros ne paraît pas réclamée impérieusement par le sujet.

Le navire qui emporte Thésée se voit dans plusieurs peintures de Pom- péi ; mais ces peintures, au lieu de représenter Dionysos et Ariadne, ne nous montrent qu’Ariadne à son réveil ; elle aperçoit alors le navire de son perfide amant et s’abandonne à sa douleur. Dans notre tableau, le navire, si l’on peut dire, ne joue pas le même rôle ; il permet seulement d’agrandir le champ du tableau, et sert à nous rappeler plus complète- ment la légende. Mais pourquoi Thésée ne se détourne-t-il pas vers l’amante délaissée ? pourquoi n’a-l-il pas des remords et pourquoi son atti- tude ne les trahit-elle pas ? questions indiscrètes, selon nous, et auxquelles un artiste a le droit de ne pas répondre. Cependant il semble aisé de justifier le peintre. Dans toute cette expédition, Thésée n’a eu qu’une pensée : le salut de ses compatriotes, la délivrance d’Athènes ; victorieux, il retourne porter la bonne nouvelle ; il a hâte de revoir son père et les siens, et son im- patience est telle qu’il oublia, dit la légende, de changer ses voiles noires contre des voiles blanches ; voilà le Thésée antique. Ariadne n’est plus qu’une étrangère à ses yeux ; il l’abandonne sans remords parce qu’il ne l’aime plus ; il ne détourne pas les yeux, parce qu’une autre passion plus violente a repris le dessus dans son cœur, Enée tourne ses regards vers la côte d’Afrique où illaisse Didon (3) ; mais, Enée, sans l’ordre d’un dieu, serait resté à Carthage. D’ailleurs le bûcher de la malheureuse reine éclaire les murs de la ville ; peut- on croire que cette lueur ne fut pas aperçue par aucun des compagnons d’Énée, et si un seul la vit, comment supposer que tous et Enée lui même ne


{1) Sarcophage de Bordeaux, au Louvre, n° 240 du catal. ; Clarac, Musée, pl. CXXVI, n° 148. €) Friederichs, Die Philostr. Bilder, p. 195. Les critiques de Fricderichs ont été réfutées un peu subtilement par H. Bruno, Die Philost. Gemdäde, p. 263. 6) Mania respiciens que jam infelicis Elissæ. Gollucent flammis. Virg. Æn., V, 3.