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une personnification de la ville de Mégare ? Nous ferons remarquer, en re- ponse à Brunn, que Mégare est assez éloignée du Cithéron, où a lieu la naissance de Dionysos ; quelle apparence que l’artiste eût songé, à propos d’Actéon, à placer sur le Cithéron la personnification de la ville de Mégare même en supposant une étroite relation entre l’histoire de cette ville et la légende d’Actéon ? De plus comment Philostrate aurait-il pu se tromper au point de prendre une Furie pour une divinité locale ? Enfin si Philostrate nomme Mégæra, il ne s’ensuit pas forcément que le peintre ait voulu don- ner à sa Furie ce nom plutôt qu’un autre, et si le peintre avait voulu réel- lement représenter Mégæra, non un Erinnys quelconque, ce fait prouverait seulement que le tableau a été conçu et exécuté depuis l’époque alexan- drine, ce qui n’a rien que de très vraisemblable.

L’attitude de Mégæra a paru singulière. Welcker prétend qu’elle ne pou- vait, en même temps, planter un sapin et faire jaillir une source. Nous ne comprenons pas très bien ce serupule. La Furie avait sans doute le pied posé près de la fente d’un rocher d’où s’échappait une source, et d’une main elle tenait un arbre ; il n’y a rien là que la peinture ne puisse rendre sensible aux yeux. Le seul reproche qu’on serait peut-être en droit de faire à l’artiste, c’est d’avoir été un peu obscur ; c’est d’avoir eu besoin d’un Philostrate, à l’esprit subtil, pour ètre compris ; mais ce reproche n’est point un de ceux qu’on n’ait jamais eu à faire aux peintres et aux sculp- teurs. D’ailleurs Philostrate lui-même peut bien avoir prêté au peintre une intention qu’il n’a point eue ; rien de plus naturel que de représenter une source sur une montagne ; Philostrate, qui sait sa mythologie, pense aus- sitôt à la source où Diane, se baignant, fut surprise par Actéon. Mais quel rapport existe-t-il entre la naissance de Dionysos et la curiosité criminelle d’Actéon ?

On conçoit que le peintre ait voulu rappeler au spectateur comment le jeune dieu devait un jour se venger des mépris de Penthée, l’arbre planté par Mégæra n’est autre que le sapin, au sommet duquel le malheureux prince se réfugiera, poursuivi par les Ménades et que celles-ci déracineront, pour s’emparer de leur victime. Mais Actéon n’a jamais rien eu à démèler avec Dionysos ; quoique petit-fils de Cadmos et par conséquent neveu de Sémélé, il a une légende tout à fait distincte de celle de Dionysos. On pour- rait répondre que d’après certains récits (4), Actéon aime Sémélé et qu’il mourut pour ce fait, victime de la jalousie de Jupiter ! Mais cette explica- tion nous paraît trop savante el trop subtile pour être juste ; le peintre, croyons-nous, si tant est que la source ait dans le tableau une signification mythologique, aura voulu simplement caractériser le Cithéron : deux faits


(1) Selon Acusilaüs, Fragm., XXILI, ed. Sturz. M. Vinet (Revue arch., 1848, p. 461 ; Dict.

Daremb. et Saglio, art. Action), a montré que le changement de nom de Séléné (Diane) en Sémélé avait seul donné lieu à cette légende,