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XI

Phaéthon.


Les Héliades pleurèrent, dit-on, des larmes d’or sur le sort de Phaéthon, ce fils du Soleil qui, dans sa passion pour le rôle de cocher, osa monter sur le char paternel, et qui n’ayant pas su tenir les rênes glissa et tomba dans l’Eridan. Selon les philosophes, des chaleurs excessives donnèrent lieu à cette allégorie ; mais pour les poètes et les peintres le char et les chevaux sont véritables. Le désordre règne dans le ciel ; regarde en effet ; en plein midi la nuit chasse le jour et derrière le globe du soleil qui se précipite vers la terre paraissent les astres ; les Heures désertant les portes confiées à leur garde s’élancent en fuyant vers les ténèbres qui viennent au devant d’elles ; les chevaux échappés du joug n’obéissent qu’à la fureur qui les emporte ; en signe de détresse, la Terre lève les mains vers le ciel, d’où se précipite sur elle ce torrent enflammé. Le jeune homme lancé hors de son char roule dans l’espace ; sa chevelure est consumée par la flamme ; sa poitrine vomit la fumée ; il va tomber dans l’Eridan et donner à ce fleuve une célébrité fabuleuse. Car les cygnes qui depuis cette aventure soupirent mélodieusement, chanteront le jeune homme, et voyageant par bandes à travers les airs, iront redire ses malheurs au Caystre et à l’Ister, si bien que nulle part son histoire ne sera inconnue. Partout, sur leur route, ils trouveront Zéphyre, le léger Zéphyre, pour accompagner leur chant : car il leur a promis, dit-on, de pleurer Phaéthon de concert avec eux. C’est bien là en effet ce qui se passe sous mes yeux : le souffle du vent touche les cygnes, comme s’ils étaient de véritables instruments. Sur le rivage se tiennent les Héliades ; car elles n’ont pas encore cessé d’être femmes, mais on dit qu’à force de pleurer elles sont devenues des arbres et qu’ainsi transformées elles répandent encore des larmes. Sachant cela, le peintre nous montre les Héliades prenant racine : les unes sont arbres jusqu’au milieu du corps ; les autres ont déjà les mains atteintes par les branches. Vois cette chevelure, c’est la cime d’un peuplier noir ; vois ces larmes, elles sont dorées ; ruisselant dans les yeux, elles égaient la prunelle de leur éclat et l’illuminent d’un rayon ; sur les joues elles étincellent au milieu des roses du teint ; sur la poitrine où elles tombent goutte à goutte elles ont déjà tous les caractères de l’or. Sortant de ses eaux tournoyantes, le fleuve se lamente. Il étend sous Phaéthon le pli de sa robe pour le recevoir dans sa chute ; puis il se fera le jardinier des Héliades. Servi par les vents et les gelées qu’il envoie, il