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l’exactitude de son interprétation ni l’accuser de subtilité. Mais l’erreur du sophiste consiste à généraliser ; ravi de trouver un peintre aussi ingénieux, un sophiste en peinture, il fait bon marché des qualités relatives à l’imitation ; il ne regarde plus ni les chèvres qui bondissent ni les pâtres qui jouent de la syrinx ; comme si ces sujets, tout humbles qu’ils sont, n’étaient pas encore plus propices, que les deux palmiers, pour faire ressortir le talent du peintre, son habileté à saisir la vie, la grâce où l’originalité de son interprétation. Remarquons d’ailleurs que Philostrate exagère ici sa propre pensée : la complaisance qu’il a mise à décrire le marais, ses plantes, ses oiseaux, les montagnes qui l’entourent, montre assez l’importance qu’il attache à ce qu’il appelle maintenant avec dédain la partie la moins noble de la peinture. Il ressemble assez à ces amateurs très prompts à s’enflammer pour une beauté de l’art, et tout prêts à faire consister l’art tout entier dans la manifestation de cette unique beauté. Soyons moins exclusifs à l’égard de Philostrate qu’il ne l’est à l’égard de la peinture ; son esthétique n’est pas toute dans cette théorie d’occasion ; la plupart des tableaux qu’il décrit et qu’il loue sont dépourvus de cette qualité, tant vantée à propos des palmiers, et il ne songe guère à en déplorer l’absence.



X

Amphion.


On dit qu’Hermès le premier s’avisa de construire une lyre avec deux cornes, une pièce transversale et une carapace de tortue, et qu’il donna cet instrument d’abord au dieu Apollon, aux Muses, enfin à Amphion le Thébain. Or Amphion qui vivait à Thèbes, lorsque cette ville n’avait pas encore de murailles, parla aux pierres le langage de la mélodie et les voici qui dociles à ses accents, accourent en foule. Tel est, en effet, le sujet de notre tableau. Considère d’abord la lyre pour voir si la représentation en est exacte. La corne, la corne du bouc bondissant, selon l’expression du poète, sert à la fois pour la lyre du musicien, et pour l’arme de l’archer : noires, dentelées, capables de porter un coup terrible, sont ici les cornes qui forment les montants ; pour les parties qui doivent être en bois, on a choisi un buis lisse, d’un grain serré. L’ivoire ne paraît nulle part, les hommes ne connaissant alors ni l’éléphant, ni l’usage qu’on devait faire un jour de ses défenses. L’écaille est noire ; elle est peinte d’après nature, sur toute sa surface des cercles irréguliers inscrivent des ombilics de couleur blonde. Portée par le chevalet, la partie inférieure des cordes fait saillie et vient à la rencontre des ombilics ; au-dessous du joug, on dirait (je ne vois rien de mieux pour les décrire) qu’elles se sont couchées bien droites sur la