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la détruire ; loin de rejeter une combinaison parce qu’elle est invraisem- blable, il pourra se faire un jeu même de cette invraisemblance ; varier de tous points les éléments dont il dispose, les unir de cent façons diverses lui paraît être à juste titre, non seulement un de ses privilèges, mais un sûr moyen de plaire. Par l’habile transition, par la grâce de l’exécution, par le charme inhérent à ses sujets, il peut faire accepter, outre ces êtres de créa- tion poétique, leur association à des êtres réels. C’est affaire de mesure et de goût.

Le jeune homme ailé qui représente Zéphyre a paru singulier (1). D’abord on ne sait trop quel est son rôle. Le chant des cygnes est-il produit par le souffle dn Zéphyre glissant sur leurs ailes déployées, ou bien par le gosier de l’oisean-lui-mème 2 IL n’y a point lieu, croyons-nous, de choisir entre ces deux suppositions ; elles sont également vraies. Les ailes du cygne sont comme une lyre, que le Zéphyre toucherait de son soufle, ainsi que d’un plectre, et que le cygne lui-même accompagnerait de sa voix. Philostrate emploie ailleurs le mot de synaulia qui signifie concert, accompagnement, en parlant de ce concours prêté aux cygnes par le Zéphyre. Mais, d’un autre côté, n’est-ce point une idée subtile, vraiment digne d’un sophiste, que cette étrange collaboration d’un vent et d’un oiseau ? Sans doute, mais si c’est là une fable qui avait cours dans l’antiquité, qu’y a-t : il d’étonnant qu’un pein- tre l’ait prise comme sujet d’un tableau ? Or plusieurs écrivains (2) font allu- sion à cette résonnance des plumes du cygne sous les caresses du Zéphyre (3), et d’ailleurs, l’origine de cette légende n’est-elle pas évidente, quand on voit l’oiseau nager en soulevant à demi ses ailes pour recueillir le vent. Autre difficulté : le Zéphyre, dans le tableau de Philostrate, n’a point, comme les vents dans plusieurs monuments figurés, une espèce de conque pour indi- quer qu’il souffle (4) : le Zéphyre, répondrons-nous, n’est point un vent vio- lent ; frêle et délicat, tel que le décrit Philostrate, il n’aurait point la force d’enfler un instrument ; son haleine d’ailleurs, sans être renforcée et dirigée par quelque moyen artificiel, suffit au rôle qu’il joue. Enfin, si l’on n’a point reconnu sur les monuments ces vents qui, selon Pline, se servaient de leur robe comme d’une voile déployée (3), quoi d’étonnant que le Zéphyre de Philostrate, sans autre attribut que ses ailes, sans autre marque distinctive





(1) Friederichs. Ph. B., p. 174 et suiv.

€) Himer, | » XIV, 244 ; Orat., XIV, 1 ; Greg. de Naz., Or., XXXIV, 554. Dion. Chrysost. Or., XXXI, XXXIV, 554 ; Philé. de Animal. propr. e. X, G.

() Voir Te tés unis A Stephani, compte rendu de la commission archéol. de Suint-Pétersbourg, 1863, p. 92, Cotte année contient d’ailleurs toute une longue et savante dis- Sertation sur le rôle et le caractère du cygne dans la fable antique.

(4) Bartoli, le antiche lurerne, M, 12 ; Wüermann, Die Antiken Odysseelandschaften, pl. 1. Voir un bas relief du Museo Capitolino, Ouf. Müller, Manuel d’arch, Atlas, p. 40, n° 229.

(5) Pline. N.., 36, 29. Sur les aurae vetificantes, Voir Wieseler, Phaelon, 61, 1. Stephani a cru les reconnaître dans une peinture campanienne qui représente Zeus entre deux jeunes

filles. Helb. Wandg., 103.