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11 faut remarquer tout d’abord que si l’art antique a donné à Memnon le

type grec, ce n’est pas par une raison esthétique, mais pour se conformer à

la légende memnonienne. Dans Homère, Memnon est le plus beau des guer- riers (1), épithète qu’il n’aurait pas sans doute méritée, s’il s’élait présenté

à l’imagination du poète avec le teint et sous les traits d’un prince africain. Dans Hésiode, dans Arctinus, dans Pindare, dans Simonide, Memnon est un Éthiopien, mais un Éthiopien d’Asie (2) : son royaume est situé dans la Su- siane ; son palais est à Suse, ville bâtie par Tithon, son père. S’il vient au secours de Troie, c’est à titre de prince allié et voisin, c’est comme défen- seur de l’Asie contre les Perses, comme le protecteur naturel de l’Orient qui connaissait sa puissance el dont certains peuples, entre autres celui de Priam, selon quelques récits, étaient ses tributaires (3). Tant que celte légende eut cours dans l’antiquité, les artistes ne furent point placés dans l’alternative ou de s’écarter de l’exactitude historique ou de méconnaître une prétendue loi de leur art, Memnon n’était point noir, et salisfaisait de tous points aux conditions de l’idéal le plus pur, Polygnote l’avait repré-

| senté dans la Lesché à Delphes ; Pausanias qui décrit l’œuvre du peintre (4) ne parle pas de la couleur de Memnon ; mais on peut, sans hésiter, affirmer qu’il avait le teint d’un Achille ou d’un Ajax ou de tout autre héros du cycle troyen. Il est vrai que Polygnote avait placé un Éthiopien nu près du

fils de l’Aurore : cet Éthiopien était-il noir ; non sans doute, pas plus que Memnon ; il était là pour représenter l’armée, ou simplement l’écuyer du prince ; non pour rappeler que Memnon eut dû être noir : si Polygnote avait, pour ainsi dire, dédoublé son personnage, afin d’être vrai sans altérer

la beauté de Memnon, Pausanias, qui nous apprend que l’Éthiopien élait nu,

-* eut remarqué ce contraste et relevé cet étrange artifice du peintre. Mais Polygnote, sans doute, croyait, comme Pausanias lui-même, que Memnon était venu de Suse, non de l’Éthiopie africaine, au secours des Troyens (5). Plus tard et pour des causes que nous n’avons point à expliquer, le mythe

de Memnon se transforme ou plutôt se déplace. Les Éthiopiens d’Égypte

| prétendirent que Memnon était né chez eux (6) ; c’est dans le fond de l’É- thiopie, et non plus comme autrefois sur les bords de l’Esepus, fleuve d’Asie,



(1) Odyss., XI, v. 522.

(2) Hésiod, Théog., 994 ; Arctinus apud Procl. in Chrestem., p. 415, édit. Gaisf. ; Pindare, Olymp.s M, 148 ; Isthm., V, 513 Ném. UT, 11 3 VI, 83.

(3) Ctésias, ap. Diod. Sic., I, 22.

(4) Pausan., X, 81, 5.

(5) Paus., X, 31, 1. Lowenherr, dans son étude, Die Aethiopien, p.22, partage on trois classes les œuvres d’art consacrées à la légende de Memnon : celles où le héros est roprésenté comme un guerrier grec ; celles où, tout en restant blanc, il est accompagné de porsonnages de race noire ; enfin celles qui en font un véritable nègre. Lowenherz place le tableau de Polygnote dans la deuxième classe. Cetto supposition est autorisée par des exemples ; nous sommes étonné toutefois que le texte de Pausanias ne soit pas plus précis sur co point.

(6) Diod. Sic., II, 22.