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ceindre la tête de bandelettes et le couronner de branches nouvelles. Quant à Ésope, il compose une fable, j’imagine, on le devine à son sourire, à ses yeux fixés sur le sol. Une douce sérénité qui détend l’âme, est nécessaire au fabuliste ; l’artiste le savait bien. La peinture se montre aussi fort ingénieuse dans la manière dont elle personnifie les fables ; les personnages en effet dont elle entoure Ésope comme d’un chœur tragique tiennent à la fois de l’homme et de la bête ; et sont composées d’éléments empruntés au théâtre même du poète. Le renard est le coryphée ; c’est que, dans la plupart des cas, Ésope se sert du renard comme la comédie de Dave pour exposer son dessein.



Commentaire.

Voici encore une description qui pique notre curiosité sans trop la satisfaire. Les Fables viennent rendre un hommage solennel à Ésope ; un personnage principal et tout un groupe d’êtres allégoriques, tels sont les éléments du tableau. Nous voudrions voir Ésope par la pensée, et Philostrate nous le montre en effet, baissant les yeux, souriant, composant une fable. Peu importe que notre auteur ait songé à Ulysse, baissant la tête, lui aussi, quand il se préparait à parler[1], ou à certains sophistes, qui avaient adopté cette contenance, comme plus favorable au travail de la pensée et de l’improvisation[2]. Quel que soit le motif qui l’ait fait observer et relever ce détail, nous devons lui savoir gré de nous l’avoir conservé. Ésope était donc dans l’attitude de la méditation : il se laissait couronner par les Fables, sans les voir, sans leur faire un accueil quelconque, sans les haranguer, sans même leur réserver les prémices de la fable qu’il composait. Nous devons nous représenter, non une scène où les personnages soient en étroit rapport entre eux, mais une espèce d’apothéose, de couronnement de buste ou de statue. Dans le marbre de l’apothéose, Homère, couronné par le Temps et la Terre, demeure impassible[3]. Dans une peinture de Pompéi[4], une foule d’hommes et d’enfants se presse autour d’un bel adolescent, couronné de lierre, qu’on a pris pour Bacchus, l’inventeur de la comédie : le dieu pose le masque sur la tête d’un personnage, comme pour le consacrer poète comique ; mais, à part ce mouvement, il n’a point l’air de s’intéresser à la scène dont il est le principal acteur ; il ne considère point les assistants, il ne les voit ni ne les écoute ; il semble même peu attentif à ce qu’il fait. Esope, dans le tableau qui nous occupe, paraît avoir été conçu d’une façon analogue ; il s’isole, au milieu de la foule qui l’entoure ; il sourit à ses pensées, non aux

  1. Iliade, III, 202, 217.
  2. Philostrate, Vita Ap., I, 10 ; Vit. Soph., I, 25.
  3. Museo Pio Clement., II, Tav. B.
  4. Museo Borb., III, pl. IV ; Roux et Barré, Herculanum et Pompei, II, pl. LXVI.