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rythme des instruments, des battements de main qui respectent la mesure, voilà à quoi se réduit l’explosion de cette gaieté très légèrement stimulée par la fumée du vin. Mais le dieu est lui-même présent : Cômos, personnage allégorique, n’a d’ailleurs aucun rapport avec les autres personnages du tableau. Suivant la coutume de l’art antique, l’idée d’allégresse est exprimée deux fois : une première, par des circonstances empruntées à la vie réelle ; une seconde, par l’image d’un génie, qui est l’allégresse elle-même. D’ailleurs le dieu représenté est bien celui qui préside notre fête ; même grâce, même nonchalance, même retenue dans le désordre lui-même, que chez les autres personnages ; il dort presque, le divertissement touchant à sa fin ; il laisse tomber sa tête et mourir sa torche ; on pressent que le son des flûtes va cesser, que bientôt le silence et le sommeil régneront seuls dans cette triste demeure. Cômos est tenu à la discrétion ; ayant prolongé ses ébats, après le départ des mariés, il ne saurait, lui qui a voulu fêter leur union, troubler leur repos. Il y a donc entre le dieu Cômos et le cômos lui-même, un accord, dont il faut savoir gré au peintre. Cependant Cômos, a-t-on remarqué, s’appuie sur un épieu ; nulle part, cetle arme n’est mentionnée comme figurant dans ces sortes de parties nocturnes. En supposant que cette arme fût portée alors en prévision de rixe ou pour le besoin d’une effraction, est-ce bien ici le cas de donner à Cômos un épieu ? La difficulté soulevée ne nous paraît pas sérieuse : un épieu n’annonce pas nécessairement des projets de violence ; il pouvait servir, en pareille circonstance, pour affermir des pas que l’ivresse rendait chancelants ; dans la plupart des peintures de vases qui représentent un cômos[1], on voit des jeunes gens appuyés, sinon sur des épieux véritables, du moins sur de longs bâtons ; qui sait même si ce n’est point un de ces longs bâtons que Philostrate distrait aurait pris pour un épieu ? Enfin l’épieu pouvait n’être qu’une arme d’apparat, utile cependant à celui qui conduirait une bande, soit pour modérer son impétuosité, soit pour écarter les fâcheux. En outre, on peut se demander si les artistes anciens ne procédaient point quelquefois comme les nôtres qui se laissent souvent plutôt guider par des considérations de grâce et d’élégance que par un respect scrupuleux de la vérité ; un épieu est un appui qui permet de donner à un personnage une pose heureuse ; un artiste n’a souvent pas besoin d’un autre motif.

Un des mérites de ce tableau consistait sans doute dans le contraste entre l’obscurité et la lumière. Les torches n’éclairaient pas beaucoup ; car Philostrate remarque que les jeunes gens voyaient ce qui était à leurs pieds, par conséquent tout juste devant eux. Une lueur assez faible s’étendait jusqu’à la porte du vestibule qui s’ouvrait sur les appartements intérieurs ;

  1. Voir, par ex., Laborde, Collect. de vases grecs, pl. 32, 65. Otto Jahn, Versammlung Königs Ludwig, no 296, 802.