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supposer ou, comme Matz, que Philostrate, tout en décrivant des objets réels, mêle à ses descriptions des traits empruntés au répertoire commun de la rhétorique, ou que les artistes se sont inspirés des rhéteurs. Les deux suppositions n’ont rien en elles-mêmes qui choque la vraisemblance et contredise nos idées sur l’antiquité ; le sophiste, qui peut-être a inventé Damis[1], qui a sans doute enrichi la vie d’Apollonius de beaucoup d’anecdotes, a bien pu aussi prendre plaisir à embellir ou, si l’on veut, à gâter par des additions les compositions des artistes ; d’un autre côté, les artistes qui autrefois choisissaient leurs sujets dans les poètes de la Grèce, dans les historiens, ont bien pu les emprunter quelquefois aux rhéteurs, dans un temps où il n’y avait guère qu’une littérature, celle des sophistes, où les sophistes se regardaient et étaient regardés comme les artistes par excellence. On le voit : de ces deux conjectures, l’une, la dernière est favorable à l’authenticité ; celle qui ne l’est pas ne conteste que quelques traits et laisse aux autres la possibilité d’avoir été représentés tels qu’ils nous sont décrits[2]. Le dirons-nous enfin ? cette question d’authenticité, qui a été de nos jours assez vivement débattue en Allemagne, nous paraît en elle-même d’une assez médiocre importance. Qu’importe en effet que les tableaux aient existé ou non, s’ils ont été imaginés par l’artiste, ou par Philostrate dans l’esprit antique ? Or

  1. Voir Letronne, statue de Memnon.
  2. Si nous voulions soutenir l’authenticité des tableaux de Philostrate, nous ferions surtout valoir cette considération que Philostrate varie singulièrement dans ses principes esthétiques suivant le tableau qu’il décrit ; tantôt, par exemple, ce qu’il admire le plus, c’est l’exactitude de l’imitation ; tantôt au contraire, c’est la pensée ingénieuse, le plus intelligitur quam pingitur de Pline ; ici les ornements lui paraissent d’un grand prix, quand le peintre les a employés ; tantôt au contraire, selon lui, ils nuisent plus à la beauté qu’ils ne la parent. Si Philostrate avait tiré tous ces tableaux de son imagination, ne les aurait-il pas composés suivant une certaine idée de l’art, vraie ou fausse, mais toujours la même ? Tel n’est point le cas. Philostrate, loin d’être attaché à des principes exclusifs et constants, semble presque avec chaque tableau concevoir autrement les lois de la peinture. Une seule cause peut expliquer une telle mobilité, la diversité même des influences, c’est-à-dire la différence entre des tableaux qui n’étaient pas l’œuvre d’une seule main, ni peut-être de la même école.