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le peintre semble sacrifier la beauté à la vérité, comme dans le tableau d’Amphiaraos, à propos duquel il fait remarquer que les chevaux du char sont couverts de poussière et par conséquent sont moins beaux, mais plus vrais. Qu’un peintre relève la beauté de ses personnages par l’éclat de la parure, rien ne lui paraît plus légitime ; si les personnages, au contraire, comme Crithéis dans la peinture du Mélès, n’ont aucune espèce d’ornements, il trouve que les bijoux font tort à la beauté. Un peintre lui paraît-il ingénieux, il fait bon marché de la peinture et donne la préférence à l’esprit. Timanthe, selon Pline, faisait entendre plus de choses qu’il n’en montrait dans ses tableaux ; nul doute que Philostrate ne se fût associé à cet éloge s’il avait décrit une peinture de Timanthe. L’esthétique n’est point née ; elle se fait au fur et à mesure des observations. La critique accommode ses théories à chacune de ses nouvelles admirations. En outre, bien que la science du sophiste s’étende à tous les objets de la connaissance humaine, Philostrate est avant tout un oraleur et un sophiste ; bien dire et penser finement, voilà les deux qualités souveraines qu’il poursuit pour son compte, auxquelles il rend hommage chez les autres. Par une conséquence naturelle de ces idées, un artiste lui paraîtra d’autant plus estimable qu’il ressemblera plus à un sophiste. Philostrate, dans sa description du Marécage, nous le laisse entendre d’une façon bien remarquable ; le mot qu’il emploie pour caractériser ce prétendu mérite du peintre est précisément celui qui désigne l’habileté du sophiste et dont le mot sophiste lui-même n’est qu’un dérivé, sophia. Il y a mieux encore : c’est un procédé de rhéteur que de faire l’éloge d’une vertu en lui sacrifiant toutes les autres ; Philostrate louant dans le Marécage, la finesse d’invention aux dépens des qualités d’exécution et d’imitation est fidèle à cette méthode peu compatible avec la vérité et le goût parfait.

Nous sommes ainsi amenés à considérer ces descriptions de tableaux non plus comme des morceaux de critique d’art, mais