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UNE VIE BIEN REMPLIE

dans la montagne, d’où les bandits embusqués et sans aucun risque tireraient sur des voyageurs ; aussi, il n’est pas étonnant de voir, dans des affaires comme celles de Montretout, des hommes d’un courage éprouvé dire qu’on les fait tuer inutilement et lâcher pied (pareils faits auraient été excusables s’ils s’étaient produits).

À deux heures et demie, mon capitaine tombait, l’épaule traversée par une balle ; le camarade qui était à mes côtés m’aida à le remasser et, sur nos fusils formant brancard, nous le transportâmes loin en arrière, hors d’atteinte des projectiles ; évanoui sur le coup, il était maintenant revenu à lui ; après avoir mis sa blessure à nu, nous la lavâmes et mirent son bras engourdi en écharpe, au moyen de nos cache-nez. Se sentant la force de marcher, nous le conduisîmes chez lui ; avant la nuit, nous étions à Suresnes, où un maraicher consentit à nous prendre dans sa voiture jusqu’à la porte Maillot ; de là, nous vinmes à pied jusqu’à la rue Charlot où demeurait notre blessé. En arrivant au troisième étage, il frappa à la porte ; une jeune fille vint ouvrir et s’écria aussitôt : Maman ! c’est papa. Mon camarade et moi, nous entrâmes derrière lui dans le petit appartement et, avant même que son épouse, accourue pour l’embrasser, ait pu placer une parole, le capitaine, à qui nous ôtions la capote en ce moment, dit à sa femme : Je te présente deux jeunes amis de la compagnie ; tu peux te joindre à moi pour les remercier de m’avoir peut-être sauvé la vie, car, tu le vois, je suis légèrement blessé ; j’étais tombé sur le coup tant la douleur avait été vive et comme les balles sifflaient très fort en cet endroit, j’aurais pu en recevoir d’autres sans ces braves, qui m’ont emporté sans me demander la permission.

Maintenant, ajouta-t-il, vous Dubois, votre femme vous attend, partez vite la rejoindre et merci ; quant à vous Pierre, aidez-moi à me déshabiller, pendant que ma fille ira chercher notre médecin, qui examinera mon bobo ; le camarade partit aussitôt, ainsi que la jeune fille.

Avec sa femme, nous enlevâmes le reste des vêtements de mon cher capitaine. J’admirais la force de caractère de cette épouse : pas de cris, pas d’affolement ; son mari lui conta simplement comment il avait été blessé mais elle était