Page:Une Vie bien remplie (A. Corsin,1913).djvu/81

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
77
UNE VIE BIEN REMPLIE

larges comme la main et profondes d’un demi-centimètre. (Ceux qui font partie de la loi Grammont ne voient pas ces choses-là.)

En sellerie, le travail le plus courant, c’est-à-dire la piqûre des harnais, ne rapportait pas quatre francs par jour ; ce qui faisait à peine une moyenne de trois francs, en tenant compte du chômage ; là les ouvriers avaient une certaine tenue ; on voyait des hommes mariés se rendre à leur travail avec la marmite de fer blanc contenant leur déjeuner ; d’autres allaient chez un petit marchand de vins-restaurant manger un ordinaire de sept sous (trois sous de légumes et quatre sous de vin), ceux-là payaient comptant ; on en voyait aussi de plus larges dans leurs dépenses, prenant l’apéritif et le café mais à crédit pour la semaine ; le samedi, on ne les voyait plus.

Et le travail aux pièces à domicile que l’on s’arrache c’est encore pire, c’est la misère sans phrases ; que de fois j’ai regretté la vie de province : là on vit en famille, le patron et l’ouvrier se demandent conseils ; ils se traitent sur le même pied et parlent à leurs voisins, qui sont souvent des amis ; à Paris, c’est la tâche donnée qu’il faut accomplir, souvent une spécialité et toujours la même, ce qui devient monotone et abrutissant ; si je n’avais pas eu le désir de voir et d’apprendre, je ne serais pas resté un mois à Paris ; si encore j’avais eu quelqu’un pour me conseiller, me guider, j’aurais pu chercher ailleurs, dans le commerce par exemple, ce qui me convenait, ainsi que j’ai pu m’en rendre compte plus tard. Pendant des années je me suis beaucoup privé.

Je connaissais les alentours de la capitale, car, chaque dimanche de la belle saison, j’allais seul en villégiature ; pour compagnon, j’emportais un livre, mais souvent je ne l’ou vrais pas en voyant les heureux se promener.

L’hiver, je fréquentais les musées, jardin des plantes, muséum et aussi les Arts et Métiers ; tous ces établissements sont chauffés, et on apprend toujours quelque chose d’utile.

Quand je voulais m’offrir une place à vingt sous au Français ou à l’Odéon, je dinais pour seize sous au Palais-Royal, en compagnie de petits vieux rentiers, qui ne payaient que