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UNE VIE BIEN REMPLIE

aux bêtes féroces, soit pour leur foi religieuse, soit pour avoir déplu au pouvoir ; et cela, devant l’enthousiasme de vingt mille spectateurs.

Est-il possible de penser sans tristesse qu’un peuple entier, hier encore esclave, se réjouisse de voir ces spectacles de carnage ? Aujourd’hui même, un restant de barbarie subsiste, puisque c’est avec frénésie que des multitudes assistent aux combats de taureaux, où l’on voit des bêtes éventrées, et aussi des hommes tués.

Cela ne présage pas la fin des guerres entre les peuples, qui n’ont cependant rien à y gagner, mais au contraire tout à y perdre.

XIV


J’appris à Orange ce qu’était le mistral : un vent en tourbillon à renverser les gens, une neige glacée qui se collait sur la figure comme de la glue ; il faisait ce même temps, quand, transi de froid, j’arrivai à Marseille, après minuit, car, à cette époque, les voitures de 3e classe n’étaient pas chauffées.

Dans toutes les villes de province, les hôtels envoient à la gare un employé qui fait ses offres, les hôtels cossus envoient des voitures. L’employé qui m’aborda, vit tout de suite que je n’étais pas millionnaire, je le suivis quand il m’eut dit « Chez nous, on est bien couché et bien nourri avec prix modérés. »

La rue donnait sur la Cannebière ; on entrait par la boutique ; il y avait huit ou dix tables ; tout le monde était couché ; mon guide désirait sans doute faire de même ; aussi, pour se débarrasser de moi au plus vite, il me dit qu’il n’y avait que des œufs et des oranges à manger ; j’étais bien obligé d’accepter celà pour apaiser ma faim et me réchauf-