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UNE VIE BIEN REMPLIE

crées à un chimiste qui avait trouvé un engrais chimique capable d’augmenter de 10 0/0 la production du blé ; tu vois que cela mérite que l’on en parle : 10 millions de plus d’hectolitres par an, et l’on n’aurait plus besoin d’acheter à l’étranger ; soit environ 250 à 300 millions de francs qui resteraient en France. Tandis que ce sont des tartines à n’en plus finir quand il s’agit de parler d’un roman ou d’une pièce de théâtre, et, le plus souvent, c’est tellement surfait, que l’on pense qu’il faut pour lire ces ceuvres ne pas savoir comment tuer le temps. Ainsi, dans ces ouvrages tous les personnages sont très riches, les femmes sont toutes belles et distinguées, les maris beaucoup moins, et plus âgés que leurs femmes. Une femme fait-elle la moue, le marie lui achète des brillants ; si elle boude, il lui achète des perles. Jeunes filles, elles sont sages ; sitôt mariées, elles ont des amants. L’une de ces héroïnes, fille de marquis ruiné, a épousé un banquier. Elle lui est fidèle, lui reconnaît toutes les qualités, bon généreux ; elle se dit qu’il faudrait être folle pour ne pas aimer un tel homme. Lui, aime tellement sa femme qu’il voit avec plaisir qu’un vrai marquis, beau et très riche, cherche à les fréquenter. Au moins elle pourra causer avec un homme distingué pendant les absences qu’il fait à Paris pour ses affaires ; elle ne s’ennuiera pas au moins. Cette vertueuse épouse n’a done rien à redouter du tête-à-tête. Mais voilà qu’un jour le beau marquis lui dit que la seule preuve véritable que l’on peut donner d’un véritable amour est de tout sacrifier à l’objet aimé ; ainsi que lui, il donnerait ses millions jusqu’au dernier sou à la femme qu’il aimerait et dont il serait aimé. Cette honnête femme ne résiste pas à une pareille déclaration ; elle oublie aussitôt le mari modèle pour le beau marquis.

Et cet autre couple, qui s’aiment toujours à la folie, qui se quittent presque aussitôt mariés parce qu’ils sont jaloux tous deux. Ils se retrouvent dans une ville d’eau un an après ; ils ont un entretien. La femme veut se faire reprendre ; l’homme lui fait de graves reproches, lui dit qu’il l’aime encore, mais que tout lien est brisé entre eux, il va la quitter pour jamais ; alors elle lui dit qu’elle va devenir la maîtresse du baron X… Ce mari vertueux met aussitôt aux pieds de sa femme sa personne et ses millions.

À lire ces auteurs qui parlent de tout comme des gens instruits par l’expérience, on croirait que ce sont des vieux chez qui l’enthousiasme est mort ; on sent en eux un besoin d’obéissance à tout ce qui est puissant par la richesse. Une seule chose dont ils ne parlent pas, c’est de la classe ouvrière ; on dirait que cette jeunesse intellectuelle a été élevée sur les genoux de l’Église, qu’elle cherche