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UNE VIE BIEN REMPLIE

vait avoir la certitude que c’était lui qui avait voulu le tuer ; d’abord, sous un prétexte quelconque, il l’emmena avec d’autres personnes à l’endroit où il avait été frappé ; déjà il crut voir en lui une certaine impression de malaise ; enfin, une autre fois, il lui commanda des sabots pour toute sa famille, lui fit boire force marcs, feignit lui-même l’ivresse, si bien que l’autre, en présence de témoins livra son secret à moitié, et devant le défi que lui lançait Brigalot de dire tout ce qui en était ; par bravade, le sabotier, dans son état complet d’ivresse, se vanta que c’était bien lui qui s’était déguisé, disant : Dagora ayant dépouillé son bouc la veille, je me suis capuchonné de la peau pour te faire peur ; mais il nia avoir donné les coups, les mettant sur le compte du diable. À ce moment, Brigalot lui dit : Vous êtes un faux ami et un assassin ; défendez-vous, car je vais vous tuer, et il le jeta avec tant de force sur les rondins de bouleaux déposés là pour faire des sabots, qu’il fut écrasé en tombant ; le misérable mourut deux mois plus tard des suites de ses coups ; alors on emprisonna Brigalot.

Au jour du jugement, presque tous les gens du village et des hameaux de la commune vinrent témoigner en sa faveur ; seuls quelques gros bonnets étaient témoins à charge ; tels M. le comte de X…, M. le curé, parce qu’ils disaient qu’un homme qui ne croit ni à Dieu ni au diable doit être capable de tout. Ce pauvre Brigalot fut condamné à dix ans de prison avec amende.

XXV


Brigalot avait donc cinquante ans quand il rentra à sa ferme, laquelle n’avait pas souffert de son absence, grâce à la bonne direction de sa femme et au travail intelligent et intéressé de ses deux domestiques. Il serait superflu de dépeindre longuement les transports de joie et de bonheur