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UNE VIE BIEN REMPLIE

XXIV


Dix ans après ces événements, la ferme a prospéré, les enfants sont venus resserrer encore ce ménage uni ; le laboureur s’est marié avec la servante et le patron les a de suite intéressés dans les bénéfices ; tant par sac de blé, tant par botte de foin, par livre de beurre, etc. ; c’était là un bel exemple, et unique, que donnait le propriétaire.

Dans l’intervalle de ces dix ans, le sabotier s’était marié et établi au village ; il gagnait sa vie en travaillant ; il ne faisait parler de lui ni en bien ni en mal ; seulement, comme le plus grand nombre des hommes du village, il aimait licher un coup, surtout l’eau-de-vie de marc ; un jour qu’il avait son compte, il conta dans un rire à n’en plus finir qu’il en connaissait avoir failli mourir des coups que le diable leur avait donné au moment où ils creusaient le sol pour y trouver un trésor.

Ces paroles arrivèrent aux oreilles de Brigalot, qui avait cessé de recevoir les visites du sabotier depuis que celui-ci s’était marié ; de plus, il avait expliqué son agression d’une toute autre façon qu’elle avait eue lieu ; tout à coup, le soupçon s’encra en lui ; il se rappela bien des petits détails qui l’éclairaient, entre autres celui-ci, où sa femme lui avait dit que ce cheminot n’était pas franc ; maintenant elle lui révélait qu’avant son accident, il lui avait dit plusieurs fois en plaisantant : Si Brigalot mourait, me prendriezvous pour mari ? Elle lui avait répondu qu’elle ne savait pas ce qu’elle ferait si elle venait à perdre son mari, qu’elle aimait, et qu’enfin, se rappelant ses façons de faire, elle le considérait comme un homme faux, capable de faire un mauvais coup.

Brigalot, comme tous les gens simples et de cœur, avait au fond le sentiment inné de la justice et des responsabilités ; il résolut de tirer vengeance sur cet homme s’il pou-