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UNE VIE BIEN REMPLIE

les mains enfantines des manuels d’études auxquels rien ne les a préparées ; aussi, c’est avec un sentiment d’orgueil que l’enfant voit qu’à douze ans il sait des choses que ses parents ignorent ; et ces enfants précoces analysent les faits, ce que nous ne pensions pas à faire à quarante ans.

Je dis franchement que lorsque la nature de l’enfant est mauvaise ou seulement tournée vers son moi exclusivement, il y a peu de chose à y faire quand bien même les parents seraient des modèles de bonté, de douceur, de droiture ; une chose qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est l’atavisme, l’hérédité.

Je m’en vais vous citer un exemple qui me touche de près : la victime est mon frère.

Marié à une honnête ouvrière, il eut deux enfants, fille et garçon ; la mère, dont la santé avait sombré dans le travail des longues veillées et les privations, les a laissés à leur père ; elle mourut à 36 ans, après six ans de mariage. Croyant avoir à se plaindre de sa mère qui n’aurait pas fait son devoir envers elle, elle ne consentit jamais à la voir, malgré les prières de son mari ; tu es heureuse, disait-il, tu as un mari qui t’aime, oublions le passé et allons l’embrasser ; rien n’y fit, elle ne voulut pas la revoir.

Les deux enfants furent élevés par le père et une gouvernante de cinquante ans, femme admirable à tous égards ; le père ne vivait que pour eux. Eh bien, lorsque la fille eut 16 ans, elle ne voulut plus recevoir de conseils ; pendant deux ans, ce foyer fut un enfer ; quand le père implorait sa fille, lui disant qu’elle le tuait, elle répondait qu’il fallait qu’elle vive sa vie selon son libre arbitre ; parce que tu insistes pour que je sois douce, aimante pour toi, tu me déplais, je te déteste ; ce n’est pas ma faute ! Voilà pour la fille.

Le fils, également intelligent, n’a pas voulu non plus être gouverné. Après qu’on l’eut mis à la porte de l’école commerciale, son père crut devoir bien faire en l’envoyant en Allemagne pour apprendre le commerce en même temps que l’allemand. En quinze mois, il changea trois fois de pensions et de professeurs. Ne voulant rien faire, il fut renvoyé de la maison de commerce.