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UNE VIE BIEN REMPLIE

à la chaux vive, etc ; ensuite les engrais chimiques avec lesquels on fume les terres qui, lavées par les pluies d’orages, entraînent à la rivière des résidus chimiques. On ne peut s’expliquer la chose autrement, car aucune usine dans son parcours ne vient salir et empoisonner ses eaux, ni polluer sa limpidité et sa fraîcheur.

Au sortir du village, mon ami me fit remarquer que le Conseil municipal avait fait planter des pommiers de chaque côté de la route, sur une distance de 500 mètres. Ces arbres, qui ne demandent pour ainsi dire pas d’entretien, étaient, à cette époque de l’année, chargés de fruits ; la récolte, depuis deux ans, avait rapporté à la commune une somme de 400 francs par an ; il me faisait remarquer que cette initiative était digne d’être imitée par toutes les communes pour planter des arbres fruitiers et aussi des arbres à ombrages, tels que : tilleuls, platanes, etc., car jusqu’ici, les villages sont dépourvus de confort et d’agrément.

Nous nous arrêtâmes au vieux moulin de Launay, bâti avant la Révolution, sur la rivière de L’Ouanne. C’est là, me dit-il, que mon père était occupé à l’âge de 16 ans ; comme les routes faisaient défaut, il livrait à dos de mulet la fournée de farine dans les hameaux reculés ; il a fait ce dur métier jusqu’à l’âge de 21 ans, moyennant cinq à dix pistoles par an, c’est-à-dire 50 à 100 francs. À cette époque, il n’y avait pas d’écoles dans les communes, personne dans les hameaux ne savait lire ; comme preuve, il me cite le fait suivant :

Mon père, dit-il, était désireux d’apprendre à lire ; dans la commune de Dicy habitait une dame âgée, qui venait y finir son existence ; elle fit savoir que trois fois par semaine, le soir, elle recevrait tous ceux qui voudraient profiter de ses leçons pour apprendre à lire et à écrire ; dix jeune gens se présentèrent, mon père fut du nombre ; après quatre leçons, il n’en restait que six. Après dix leçons, mon père étant seul avec sa mère gravement malade au hameau des Chats et lui-même atteint d’un gros rhume, ne put continuer son instruction. Néanmoins, il s’appliqua si bien à lire et à écrire seul, qu’au bout de six mois, il concourut pour obtenir l’emploi de télégraphiste à Claude-Chappe, poste établi sur le plateau de Couffraut, et il l’obtint.