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UNE VIE BIEN REMPLIE

l’avouer, avait parlé de quitter la ferme pour ne plus être témoin des actes de la folle ; celle-ci, dans ses moments lucides avaient compris cela. Alors, elle n’avait plus de retenue ; elle criait, hurlait, se mettait dans des états épouvantables quand elle ne voyait plus le jeune homme, tandis qu’elle le caressait quand il était présent, comme elle faisait autrefois à sa poupée.

Le docteur prit les parents à part et leur dit qu’il était facile de voir qu’elle aimait le jeune homme, et cela sans doute dès avant son accident et que, s’il s’en allait, c’était la folie incurable ; il dit la même chose au domestique, l’engageant à rester.

Ce garçon confia alors au médecin que c’était lui qui avait fait le mal et qu’il donnerait sa vie pour le réparer ; le médecin lui demanda de ne dire la chose à personne ; alors il fit un voyage à Paris et rapporta des tortues.

On fit une mise en scène :

Une camarade de la folle avait pour mission d’en tenir une ou deux dans ses mains quand elle viendrait dans le jardin, où plusieurs tortues avaient été déposées sur une toile, avec des feuilles de laitue ; toute la famille avait été réunie, riant, chantant, quand la folle, qu’amenait le médecin par le bras, parut.

Ce fut d’abord sa camarade qu’elle remarqua tenant les petites bêtes dans ses mains ; elle se pencha, puis se rejetant en arrière criait : « Le diable ! le diable ! » et tomba dans les bras du jeune homme ; la syncope fut courte ; quand elle se vit à son bras et à celui du docteur, qui ce dernier aussi avait à la main une tortue, elle s’avança vers le groupe qui semblait s’amuser à regarder ces bestioles ; elle en prit une, la jeta en l’air après l’avoir regardée et se mit à pleurer à sanglots et rire tout à la fois : elle fut guérie.

Après la guérison, le garçon raconta comment les choses s’étaient passées ; il obtint son pardon des parents et de la fille qui devint sa femme.

Elle ne se ressentit jamais de la commotion qui l’avait frappée si terriblement ; son mari racheta sa faute inconsciente en se montrant juste et bon.