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et s’ils avaient eu beaucoup d’enfants. Je ne repousse pas absolument les dénouements heureux, mais je les crois d’abord moins vrais, ensuite moins efficaces. Je vous avoue que Tartuffe cesse presque de m’être odieux au moment où on l’arrête.

La moralité n’est pas dans le fait, mais dans l’impression du fait. Puisque vous regrettez que Jean Baudry ne soit pas heureux, l’impression finale est donc pour la vertu.

Je trouve qu’Andrée rendrait un mauvais service à la vertu et à Jean Baudry lui-même en le préférant à Olivier, qui retomberait alors où Jean Baudry l’a ramassé. Elle croit, comme Jean Baudry, qu’Olivier traverse la dernière crise du mal ; elle a pour lui la même sorte de tendresse que Jean Baudry, elle l’aime pour le parfaire ; elle veut être la mère de son àme, comme il en est le père. Elle épouse mieux Jean Baudry en ne l’épousant pas et en collaborant à son œuvre qu’en stérilisant son effort de onze années. Ce n’est donc pas par incrédulité à la grandeur des femmes, ô chère grande femme, que j’ai voulu qu’Andrée préférât le cœur imparfait au cœur parfait ; elle fait acte de grande bonté et de grand courage, en choisissant celui qui a le plus besoin d’elle, non pas seulement pour être heureux, chose secondaire, mais pour être bon, chose essentielle.

Et maintenant, me pardonnerez-vous de n’avoir pas fait de mon dénouement une distribution de prix Montyon, et d’Andrée l’âne savant qui va présenter sa patte à la personne la plus honnête de la société ?

Me pardonnerez-vous surtout de vous ennuyer si longuement de ma défense ? Mais si je plaide devant vous, c’est que je reconnais votre juridiction ; je ne réponds pas à tout le monde, je n’assomme que vous ; voilà ce que rapporte le génie. Mais, pardonnez-moi ou non, moi je vous remercie.

Auguste Vacquerie.
Paris, 7 janvier 1864