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se disant : la vertu ne sert qu’à se rendre malheureux.

Voilà ma critique ; elle est du domaine de la philosophie et n’ôte rien à la sympathie et aux compliments de cœur de l’artiste. Vous avez fait agir et parler un homme sublime. C’est une grande chose par le temps qui court. Je suis heureuse de votre succès.

George Sand.
Nohant, 28 décembre 1865.


À madame George Sand.

Comme je suis fier que vous m’ayez écrit une lettre si amicale et si sincère ! Mais comme je suis humilié que nous ne soyons pas du même avis sur les dénouements !

Vous regrettez qu’Andrée ne récompense pas la vertu de Jean Baudry. Mais est-ce que la vertu est jamais récompensée, ailleurs qu’à l’Académie ? J’ai essayé de faire un Prométhée bourgeois ; est-ce que la récompense de Prométhée n’a pas été le vautour. Et je ne sais pas qui est-ce qui gagnerait à ce qu’il en fût autrement.

Ce ne serait pas Prométhée, toujours ! Le voyez-vous réconcilié avec Jupiter et bien en cour ? Voyez-vous Jeanne d’Arc finissant dame d’honneur de la reine, et Jésus ministre de Tibère !

Ce ne serait pas la vertu non plus. Vous dites qu’elle est plus contagieuse quand elle est récompensée ; je crois le contraire, et qu’il n’y a pas de plus grande propagande que le martyre. Supprimez la croix et vous supprimez peut-être le christianisme.

Pour redescendre à ma pièce, il me semble que Jean Baudry serait considérablement diminué, et avec lui l’enseignement qu’il personnifie, s’il était aimé d’Andrée à la fin. Je doute que Roméo et Juliette fussent touchants à perpétuité s’ils s’étaient mariés tranquilles