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LES AVENTURES DE TOM SAWYER.

La lune ne tarda pas à se montrer de nouveau. Joe l’Indien, penché sur sa victime, la contempla d’un œil sinistre. Le docteur laissa échapper quelques paroles indistinctes et poussa un long soupir ; puis tout retomba dans le silence.

— Notre compte est réglé et bien réglé, docteur, murmura le métis.

Il fouilla alors dans les poches de sa victime, s’empara de ce qu’elles contenaient, mit le couteau dans la main droite de Potter et s’assit sur le cercueil vide. Trois, quatre, cinq minutes s’écoulèrent avant que Potter remuât. Enfin il commença à gémir. Ses doigts se fermèrent sur le manche du couteau ; il leva le bras, contempla l’arme ensanglantée et la laissa tomber avec un frisson d’horreur. Puis il se redressa, repoussa le cadavre, et se tint assis, regardant autour de lui d’un air intrigué.

— Qu’est-ce que cela veut dire, Joe ? demanda-t-il enfin.

— Vilaine affaire ! répliqua Joe. Pourquoi diable as-tu joué du couteau ?

— Moi ? Je n’en suis pas capable.

— Bah ! on ne se lave pas avec des mots.

Potter se mit à trembler et devint très pâle.

— Je me croyais un peu dégrisé, dit-il ; mais je me sens encore plus ivre qu’à notre départ. La tête me tourne et je ne me rappelle presque rien. Voyons, Joe, est-ce que c’est moi qui… ?

— Dame, tu as sauté sur lui parce qu’il m’avait frappé ; il t’a renversé avec le couvercle du cercueil, et je croyais ton affaire bâclée ; mais tu t’es relevé et tu lui as enfoncé ton couteau dans le corps.

— C’est la faute du whisky, Joe. Aussi vrai que je suis là, je n’ai pas voulu le tuer. Il m’a guéri quand j’avais le délire tremblant. Jamais de ma vie je ne me suis servi d’un couteau ; je ne me bats qu’à coups de poing, tout le monde sait ça. Nous avons toujours été bons camarades, Joe, ne me dénonce pas !