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LES AVENTURES DE TOM SAWYER.

— Parbleu ! Du moins son esprit nous entend. Tu aurais bien pu l’appeler M. Williams.

— Je ne songeais pas à le vexer. Tout le monde l’appelait le Borgne et il ne se fâchait pas.

— Ce n’est pas une raison ; il y a des morts qui sont mauvais coucheurs.

Cette réponse peu rassurante jeta un froid, et l’entretien fut de nouveau interrompu. Tout à coup Tom saisit son compagnon par le bras.

— Pristi, tu m’as fait peur, s’écria Huckleberry. Qu’est-ce qu’il y a ?

— Chut ! pas si haut. Tu n’as pas entendu ? Tiens, écoute.

Les deux amis se pelotonnèrent l’un contre l’autre.

— Oui, j’entends à présent, dit Huckleberry. Pour le coup, on vient chercher M. Williams. Qu’allons-nous faire ?

— Tu ne veux pas jeter ton chat à leurs trousses ?

— Ma foi, non, je n’en ai plus envie. Tant pis pour mes poireaux.

— Bah ! ils ne nous verront pas.

— Allons donc ! ils voient la nuit aussi bien que le jour.

— Nous ne sommes pas des morts ; si nous ne bougeons pas, ils ne feront pas attention à nous.

Un son de voix étouffées, qui se rapprochait, arriva de l’autre bout du cimetière. Les deux amis se serrèrent l’un contre l’autre.

— Regarde par là, murmura Tom. Qu’est-ce que c’est que cela ?

— Un feu follet, une âme en peine… Ah ! si j’avais su !

Trois formes, que l’on ne distinguait que vaguement à la faible lueur des étoiles, s’avançaient avec lenteur ; l’une d’elles balançait une lanterne qui émaillait le sol d’innombrables paillettes de lumière.

— Pour sûr, ce sont les suppôts du diable, dit Huck avec un frisson d’épouvante qu’il communiqua à son compagnon. Il y en a trois : nous sommes fichus ! Nous devrions peut-être nous agenouiller et réciter un bout de prière.