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L’ASSASSINAT.

avec intrépidité à travers les hautes herbes du cimetière, qui leur montaient jusqu’aux genoux.

C’était un cimetière tel que l’on en voyait à cette époque dans les provinces de l’Ouest, c’est-à-dire fort mal entretenu. Situé sur une colline, à un mille et demi environ de la ville, il était entouré d’une clôture délabrée dont les planches se penchaient les unes en avant, les autres en arrière, et dont aucune ne tenait droit. Les mauvaises herbes poussaient à foison. Des croix de bois, rongées par les vers, chancelaient sur les fosses, cherchant un appui qu’elles ne trouvaient pas. Sur la plupart d’entre elles, on n’aurait pas pu lire, même en plein jour, l’inscription que l’on y avait peinte autrefois.

Une faible brise gémissait à travers les arbres, et Tom s’imagina que les morts se plaignaient. Les deux amis parlèrent peu et sans élever la voix ; en dépit de leur bravoure, l’heure, le lieu, le silence solennel qui régnait autour d’eux, ne laissaient pas de les effrayer un peu. Ils trouvèrent la tombe nouvelle qu’ils cherchaient, et se mirent à couvert sous trois grands ormes qui s’élevaient à quelques pieds de la fosse.

Ils attendirent en silence pendant cinq ou six minutes qui leur parurent durer des siècles. La huée d’un hibou fut le seul bruit qui troubla la paix du cimetière. Enfin les réflexions de Tom devinrent tellement lugubres qu’il éprouva le besoin de parler.

— Hucky, demanda-t-il, est-ce que tu crois que les morts aiment à nous voir ici ?

— Je voudrais bien le savoir, répondit Huckleberry à voix basse. Je suis presque fâché d’être venu.

— Moi aussi, répliqua Tom.

Après un court intervalle de silence, il reprit :

— Dis donc, Huck, est-ce que tu penses que le borgne nous entend parler ?