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LES AVENTURES DE TOM SAWYER.

pela avoir entendu dire tout récemment par le docteur que la gangrène se met à une plaie que l’on néglige. Or l’orteil de son pied gauche portait la marque visible d’une écorchure dont il avait oublié de se plaindre. Il tira de sous la couverture le membre endommagé. Par malheur il ignorait les symptômes auxquels on reconnaît une plaie négligée. La peau était entamée, pas moyen de le nier, et son pied gauche lui parut beaucoup plus rouge que l’autre. On pouvait toujours essayer. Il se mit donc à geindre avec entrain.

Mais Sid avait le sommeil dur.

Tom s’indigna. Il crut ressentir dans l’orteil une douleur dont il s’inquiétait peut-être trop tard, et ses lamentations devinrent plus bruyantes.

Sid ne bougea pas. Ce manque de sympathie exaspéra Tom, qui enfonça son coude dans les côtes du dormeur. Certain du résultat, il recommença à geindre. Sid bâilla, s’étira, grommela, et contempla d’un air ébahi le malade, qui poussait des cris à fendre l’âme.

— Qu’est-ce qui te prend ? demanda-t-il.

— Ne remue pas tant, Sid, je t’en prie.

— Mais dis-moi donc ce que tu as. Pourquoi ne m’as-tu pas réveillé plus tôt ? Faut-il appeler ma tante ?

— Non, n’appelle personne ; ça ne servirait à rien.

— Voyons, où souffres-tu ?

— Tiens, regarde comme mon pied est rouge. Le docteur Robinson a dit avant-hier que lorsque la gangrène s’y met, on est perdu. Eh bien, j’ai la gangrène, voilà tout, et l’on en meurt. Oh ! là ! là !

Tom était si bien entré dans l’esprit de son rôle et avait frotté son pied avec tant de persistance qu’en ce moment l’orteil gangrené lui faisait vraiment mal ; aussi ses gémissements paraissaient-ils de bon aloi.

Sid, effrayé, sauta à bas du lit, descendit l’escalier quatre à quatre et s’écria :