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LE CHIEN ET LE SCARABÉE.

chonnes, il se coucha sur le ventre, le scarabée entre ses pattes de devant, et continua ses expériences. Peu à peu il devint distrait ou indifférent. On eût dit qu’il s’assoupissait ; sa mâchoire s’abaissa et toucha l’ennemi, qui s’y accrocha. Alors un hurlement plaintif éclata ; le caniche secoua la tête et le scarabée alla tomber à deux pieds plus loin. Tom jubilait.

Le chien parut déconcerté ; toutefois, s’il se sentait humilié par sa défaite, il brûlait de prendre sa revanche. Il recommença son manège offensif, caracolant autour de son adversaire, s’abattant sur ses pattes de devant à moins d’un pouce de la bestiole et la menaçant même de plus près avec ses dents.
Un intrus.
À la longue, ces cabrioles cessèrent de l’amuser ; il essaya de se distraire en s’occupant d’une mouche ; mais la mouche s’envola. Le nez collé au plancher, il suivit à la piste une fourmi et se fatigua vite des détours qu’elle l’obligeait à faire. Il bâilla, oublia le scarabée et s’assit dessus ! Un long glapissement d’angoisse couvrit la voix du pasteur. Le caniche remonta vers la chaire en poussant des cris de détresse, et revint au galop sur ses pas sans que son allure l’empêchât de hurler. Bientôt on ne vit plus qu’une planète laineuse qui parcourait son orbite avec une rapidité vertigineuse. Enfin l’infortuné s’écarta tout à coup de la voie orbiculaire, et bondit par-dessus la porte d’un des bancs pour aller s’abattre sur les genoux de son maître. Ce dernier s’empressa de jeter l’intrus par la fenêtre, et peu à peu la voix du martyr se perdit au loin.

Il n’était que temps. Une partie de l’assistance avait de la peine à garder son sérieux, et le prédicateur avait dû interrompre son sermon.