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LES AVENTURES DE TOM SAWYER.

torse. La veuve me défend de crier ou de jurer, ou de bâiller ou de me gratter devant le monde. Par-dessus le marché, cette satanée école va ouvrir, et l’on veut m’y faire aller. Il ne manquait que ça ! Tu vois que je n’avais plus qu’à filer.

— Quand on est riche, il faut bien savoir lire et écrire, autrement tout le monde te volerait.

— Tom, ce n’est pas aussi amusant qu’on le dit d’être riche. Ce n’est qu’embêtement sur embêtement. Mes habits me conviennent, mon tonneau me convient, et je ne les lâche pas. Sans cet argent, on me laisserait tranquille. Eh bien, prends ma part avec la tienne. Tu me donneras une pièce de dix cents de temps en temps, pas trop souvent, de façon que je ne compte pas dessus. Arrange la chose avec la veuve et prie-la de me planter là.

— Non, Huck ; je ne peux pas faire ça. Ce n’est pas juste, et d’ailleurs si tu essayes un peu plus longtemps, tu t’y habitueras.

— M’y habituer ? Oui, comme je m’habituerais à rester assis sur un poêle rouge. Je ne veux pas être riche et je ne veux pas moisir dans une maison. J’aime les bois et la rivière, et les tonneaux. Que le diable emporte le trésor ! Faut qu’il arrive juste au moment où nous avions des fusils et une caverne de voleurs !

Tom saisit la balle au bond.

— Tu te trompes joliment, dit-il, si tu crois que parce que je suis riche ça m’empêchera d’avoir une bande.

— Bien vrai ?

— Aussi vrai que je suis ici ; mais tu comprends que nous ne pourrons pas t’admettre dans la bande si tu n’es pas habillé proprement.

La joie qui avait éclairé le visage de Huck se dissipa aussitôt.

— Tu as bien voulu de moi pour pirate, répliqua-t-il.

— Ce n’est pas la même chose. Les voleurs sont plus comme il faut que les pirates, en général.