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LES AVENTURES DE TOM SAWYER.

Potter fut introduit. Il était pâle et hagard. On lui avait mis des menottes, bien que son air ahuri et résigné ne permît pas de supposer qu’il songeât à offrir la moindre résistance. Tous les regards demeuraient fixés sur lui ; mais il n’osait lever les yeux. Quant à Joe l’Indien, aussi impassible que jamais, il ne semblait nullement désireux de se soustraire à l’attention publique. Deux ou trois minutes plus tard, le juge fit son entrée, et le shérif annonça que la séance était ouverte. Les avocats échangèrent quelques paroles et étalèrent devant eux leurs paperasses. Ces délais et d’autres détails préliminaires eurent pour effet de surexciter l’impatience des spectateurs.

Enfin on appela le premier témoin à charge, qui déclara que, le matin même du crime, passant de très bonne heure au bord de la rivière, il avait aperçu l’accusé en train de se laver. Le fait lui avait paru d’autant plus surprenant que le prévenu, qui en général se montrait hydrophobe, s’était éloigné en toute hâte, comme s’il craignait d’être vu. L’avocat de Potter n’adressa aucune question à l’auteur de cette déposition ; il dit d’un ton distrait, en employant la formule de la justice américaine :

— Renvoyez le témoin.

Le prévenu leva un moment les yeux, mais il les baissa de nouveau lorsque son défenseur, au lieu de répondre à cette interrogation muette, ajouta :

— Il peut se retirer ; je n’ai rien à lui demander.

Un second témoin prouva que le couteau ramassé près du cadavre appartenait à Jack Potter. Le défenseur se contenta de répéter :

— Renvoyez le témoin.

Cette fois encore il s’abstint de poser la moindre question.

Pourquoi renonçait-il à sa tactique habituelle, qui consistait à accabler les témoins de questions et les amener à se contredire ? Les visages de l’auditoire commencèrent à trahir un certain méconten-