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LES AVENTURES DE TOM SAWYER.


XIX

LE RÊVE DE TOM.


C’était là le grand secret de Tom. L’idée d’assister à leurs propres funérailles avait seule pu décider les pirates révoltés à ne pas déserter. Le samedi soir, à la tombée de la nuit, ils avaient traversé le fleuve sur un tronc d’arbre pour aborder à trois ou quatre milles de Saint-Pétersbourg ; ils avaient dormi jusqu’au point du jour dans un bois ; puis, se glissant à travers les rues désertes, ils étaient allés achever leur somme dans l’église, au milieu d’un chaos de bancs boiteux.

Le lendemain matin, à déjeuner, tante Polly et Marie semblèrent rivaliser pour gâter Tom, qui dut penser que le meilleur moyen de se faire aimer consistait à se noyer. On causa beaucoup et, vers la fin du repas, tante Polly lui dit :

— Je me demande comment tu oses rire, Tom. Ç’a peut-être été une bonne plaisanterie de mettre toute la ville sens dessus dessous ; mais je ne te croyais pas assez mauvais cœur pour me laisser souffrir ainsi. Puisque tu as pu revenir pour écouter le sermon, tu aurais bien pu trouver le moyen de me prévenir que tu n’étais pas mort.

— Oui, Tom, ajouta Marie, tu aurais au moins pu nous rassurer, et je crois que tu l’aurais fait si tu y avais pensé.

— Je ne sais pas trop ; cela aurait tout gâté, répliqua Tom, qui regretta aussitôt sa franchise en voyant combien elle affligeait tante Polly.

— Il ne faut pas lui en vouloir, maman, dit Marie, Tom n’a pas mauvais cœur, mais il est plus étourdi qu’une linotte ; quand il a une idée en tête, il ne songe jamais à autre chose.