Page:Twain - Les aventures de Tom Sawyer, trad Hughes, illust Sirouy, 1884.djvu/132

Cette page a été validée par deux contributeurs.
121
L’ORAGE.

dessinait nettement sans produire une ombre — les arbres ployés, le fleuve houleux sous sa couche de mousse blanche, les flocons d’écume, les collines de la rive opposée que l’on entrevoyait à travers le voile de la pluie oblique. De temps à autre quelque géant de la forêt s’effondrait avec fracas, brisant les branches des arbres voisins. Les détonations de la foudre, qui éclatait sans discontinuer, devenaient assourdissantes. L’orage semblait s’efforcer à la fois de mettre l’île en morceaux, de l’incendier, de la noyer jusqu’au sommet des peupliers, de l’emporter dans une bourrasque et de fêler les oreilles de tous les êtres vivants qui s’y trouvaient. Nos aventuriers croyaient leur dernière heure venue, et il y avait certes de quoi les épouvanter.

Enfin l’orage s’apaisa peu à peu. Lorsque les enfants regagnèrent leur bivouac, ils étaient encore sous le coup des émotions de cette terrible nuit et ils découvrirent qu’ils n’avaient pas eu tort de s’effrayer. Le platane sous lequel ils s’étaient d’abord réfugiés gisait foudroyé, fendu jusqu’à la racine.

Leur camp avait été inondé comme le reste de l’île. Ils grelottaient sous leurs vêtements trempés. Par bonheur Huck reconnut que le tronçon d’arbre contre lequel ils avaient bâti leur foyer et qui formait une courbe au-dessus du sol brûlait encore en dessous. À force de s’époumoner, à l’aide de bouts d’écorces, ils réussirent à raviver la flamme ; puis ils entassèrent les branches mortes et eurent bientôt devant eux une véritable fournaise qui leur réjouit le cœur. Ils firent sécher leur jambon bouilli, qui contribua aussi à les réconforter, et, accroupis près du feu, ils s’entretinrent des dangers qu’ils avaient courus. Ils auraient bien voulu dormir, mais le sol autour d’eux était encore trop mouillé.

Lorsque le jour parut, ils tombaient de sommeil et ils allèrent s’allonger sur le banc de sable, où ils se reposèrent jusqu’à ce que la chaleur fût devenue trop forte. Joe prépara le déjeuner, que l’on mangea