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LES AVENTURES DE TOM SAWYER.

bon. » Alors je dirai : « Bah, s’il est assez fort ! » Et nous allumerons nos pipes sans nous donner des airs. Quels yeux ils ouvriront !

— Oui, je t’en réponds ! Ce sera drôle, Tom.

— Et lorsqu’ils sauront que nous sommes des pirates, il y en a plus d’un qui se mordra les pouces de n’avoir pas été avec nous.

La conversation devint bientôt un peu décousue, et les apprentis fumeurs se montrèrent plus avares de paroles. Leur expectoration augmentait d’une façon alarmante. De chacune de leurs glandes salivaires jaillissait une fontaine et ils avaient de la peine à vider le réservoir qui se formait sous leur langue assez vite pour empêcher une inondation. En dépit de leurs efforts, une partie du trop-plein leur coulait dans la gorge, qui, chaque fois, manifestait une soudaine tendance à la révolte. De minute en minute les débutants devenaient plus pâles. Enfin Joe laissa tomber sa pipe et dit d’une voix mal assurée :

— J’ai perdu mon couteau ; je crois que je ferai bien d’aller le chercher.

— Je t’aiderai, répliqua Tom en passant la main sur son front moite… Non, tu n’as pas besoin de te déranger, Huck ; nous le trouverons bien sans toi.

Huck se rappelait peut-être l’effet de sa première pipe ; il se rassit donc. Au bout d’une heure d’attente, comme ses camarades ne reparaissaient pas, la solitude commença à lui peser et il se mit à leur recherche. Il les retrouva dans le bois, assez éloignés l’un de l’autre, dormant d’un profond sommeil. Ils étaient encore très pâles ; mais quelque chose lui apprit que, s’ils avaient éprouvé un malaise, ils s’en étaient débarrassés. Ce soir-là, leur entrain habituel leur fit défaut et lorsque Huck, le repas terminé, s’apprêta à bourrer leurs pipes, ils lui évitèrent cette peine. Non, merci ; ils avaient mangé trop d’œufs de tortue à déjeuner et ne se sentaient pas très bien.