Page:Twain - Les aventures de Tom Sawyer, trad Hughes, illust Sirouy, 1884.djvu/120

Cette page a été validée par deux contributeurs.
109
L’ÉLOGE FUNÈBRE DE TOM.

Et tante Polly se mit à pleurer.

— C’est comme mon Joe, dit Mme  Harper en sanglotant. Plein de diableries, mais aussi peu égoïste qu’il est possible de l’être. Quand je songe que je l’ai corrigé pour avoir bu cette crème, sans me rappeler que je l’avais jetée moi-même parce qu’elle était tournée ! Ah ! j’ai bien mérité de ne plus le revoir, le pauvre enfant !

— J’espère que Tom est au ciel, dit Sid ; mais s’il s’était mieux conduit…

Sid !

Tom, bien qu’il ne pût rien voir, reconnut la voix qui prononçait le nom de son frère et devina l’expression qui animait en ce moment le regard de celle qui prenait sa défense.

— Sid ! pas un mot contre mon Tom, maintenant qu’il n’est plus… Oh ! madame Harper, je ne me consolerai jamais de l’avoir perdu, malgré les transes continuelles qu’il me causait.

— Oui, c’est bien dur, répliqua Mme  Harper. L’autre jour, Joe a fait partir un pétard juste sous mon nez et je l’ai rudement secoué. S’il recommençait ce soir, je lui sauterais au cou pour l’embrasser.

— Je comprends ça, madame Harper ; personne ne le comprend mieux que moi. La semaine dernière, Tom a bourré Roméo d’élixir réconfortant ; j’ai cru que la malheureuse bête allait devenir enragée et, Dieu me pardonne, j’ai…

Ce souvenir émut si vivement la vieille dame qu’elle ne put achever la phrase. Tom aussi versa quelques larmes ; seulement, au lieu de compatir à la douleur des siens, il s’apitoyait sur son propre sort. À force d’entendre énumérer les bonnes qualités de celui que l’on regrettait, il commença à croire que tout le monde l’avait méconnu jusqu’alors et qu’il possédait une foule de vertus dont il ne s’était jamais douté. Néanmoins il fut tenté de se montrer à l’improviste. Les aventures du Brigand de la Sonore contenaient maintes scènes de ce genre qui