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SYMPTÔMES DE NOSTALGIE.

— Je voudrais joliment savoir qui c’est ! dit Joe, lorsqu’on eut en vain attendu une nouvelle détonation.

Tom eut tout à coup une idée lumineuse.

— Quelle chance ! s’écria-t-il. Les noyés, c’est nous !

Nos pirates se sentirent aussitôt transformés en héros. Quel triomphe ! On les cherchait, on les regrettait ; on se rappelait les actes de cruauté, d’injustice dont ils avaient été victimes ; on s’abandonnait à des remords tardifs.
Quelle chance !
Bien mieux, les pirates méconnus étaient le sujet de toutes les conversations, et leur brillante notoriété devait exciter l’envie de leurs camarades. Cela valait la peine d’être pirates !

Vers l’heure du crépuscule le vapeur retourna à son poste habituel, les barques disparurent et les pirates regagnèrent leur camp, très fiers de la célébrité qu’ils avaient acquise. Une pêche abondante leur fournit un souper auquel ils se sentaient disposés à faire honneur. Leur faim apaisée, ils se remirent à bavarder, cherchant à deviner ce que l’on disait d’eux à Saint-Pétersbourg. Les tableaux qu’ils se tracèrent de l’anxiété publique semblaient flatter leur amour propre ; mais lorsque la nuit vint, ils cessèrent peu à peu de jaser, et, bien que leurs regards restassent fixés sur le feu du bivouac, leur pensée voyageait vers un foyer plus familier. Leur repaire avait déjà perdu le prestige de la nouveauté. Tom et Joe ne purent s’empêcher de songer à certaines personnes qui ne devaient pas