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LE REPAIRE DES PIRATES.

— Sang et tonnerre !

Sur ce, Tom, lançant son jambon le long de la colline escarpée, prit le même chemin, au grand dommage de sa peau et de ses vêtements. Il aurait pu rejoindre ses amis en suivant un sentier très commode ; mais cette route n’offrait aucun des dangers, aucune des difficultés que recherchent les flibustiers.

Terreur-des-mers avait apporté une flèche de lard et un petit sac de biscuits. Finn aux mains rouges s’était approprié une poêle à frire, une quantité de tabac en feuilles et des balles de maïs dont on se sert aux États-Unis pour fabriquer des fourneaux de pipe. Corsaire-Noir, à la vue d’un foyer qui couvait sur la plage, s’écria :

— Mille sabords ! j’ai oublié d’emprunter un briquet et de l’amadou. Il faut nous procurer les moyens d’allumer un feu de bivouac. Que serions-nous devenus si je n’avais pas songé à cela ?

Nos pirates se dirigèrent donc vers le brasier à moitié éteint. L’expédition fut menée d’une façon très imposante. On s’arrêtait de temps à autre, un doigt sur les lèvres ; on se remettait en route à pas de loup, la main sur le manche d’un poignard imaginaire ; on se baissait pour écouter.

— Chut ! disait Tom ; si l’ennemi bouge, enfoncez la lame jusqu’à la garde !

Il savait fort bien que les débardeurs se trouvaient dans la ville, en train de boire ; mais ce n’était pas une raison pour ne pas agir en vrais forbans.

Après avoir ainsi débuté dans la carrière du crime en dérobant quelques tisons qui furent déposés avec soin dans la poêle à frire, on gagna le radeau et on fit voile, pour employer l’expression du capitaine. Joe pagayait à l’avant, Huck à l’arrière. Tom commandait. Debout sur la passerelle — c’est-à-dire au centre du radeau — il se tenait les bras croisés, les sourcils froncés, donnant ses ordres.