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LES AVENTURES DE TOM SAWYER.

— Je ne l’ai jamais vu se démener de la sorte. Que lui est-il arrivé ?

— Il a peut-être vu une souris. Les chats dansent quand ils voient une souris… du moins on me l’a dit.

Tom ne riait plus ; sa tante, qui regardait autour d’elle d’un air soupçonneux, venait d’apercevoir le flacon. Bientôt elle ramassa la cuiller révélatrice et la brandit d’un geste menaçant. Tom baissa les yeux. Il se sentit soulevé par l’oreille et reçut deux ou trois coups de cuiller sur la tête.

— Voyons, comment as-tu pu traiter ainsi un pauvre animal qui ne peut pas se plaindre ?

— Je l’ai fait par charité, parce qu’il n’a pas de tante.

— Pas de mauvaises plaisanteries, Tom !

— Ce n’est pas une plaisanterie. J’ai eu pitié de lui, parce qu’il n’a personne pour lui brûler l’estomac avec un tas de drogues.

Tante Polly éprouva un remords de conscience. La situation lui apparut sous un nouveau jour. S’il y avait de la cruauté à droguer un chat, peut-être n’était-il pas moins cruel de bourrer son neveu de remèdes. Elle s’attendrit, une larme mouilla ses yeux ; elle posa la main sur la tête de Tom et dit d’un ton ému :

— J’ai agi pour le mieux, et puis cela t’a fait du bien.

Tom regarda à la dérobée l’endroit où il avait versé tant de cuillerées d’élixir et répliqua avec beaucoup de gravité :

— Je sais que tu as agi pour le mieux, ma tante ; moi aussi, et cela a fait du bien à Roméo. C’est la première fois qu’il danse.

— Allons, vilain garnement, je vois que tu n’as plus besoin de médecine. Cours à l’école et tâche de ne plus me chagriner.

Tom arriva à l’école avant l’heure de la classe. Du reste, depuis quelque temps, il se présentait toujours un des premiers et son exactitude inusitée avait attiré l’attention de ses camarades. Ces derniers remarquaient aussi qu’au lieu de jouer comme autrefois avec eux, il rôdait