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Jamais on n’avait vu chose pareille. On se pressait, on s’étouffait ; tous les cous étaient tendus pour voir le petit tapageur qui prenait ouvertement le rôle de séditieux. On l’accablait d’insultes, de moqueries ; on l’excitait pour le rendre plus furieux. Les larmes tremblaient dans ses yeux ; mais il tenait tête à la foule ignoble et lui lançait, avec un air imposant, des regards de défi qui la faisaient reculer.

— Je vous dis, tas de chiens, s’écriait-il, que je suis le prince de Galles. Et quelque abandonné que je sois ici, sans trouver personne qui me prête aide en mon péril, et me soutienne en parole ou en action, encore maintiendrai-je mon droit et ne bougerai-je point.

— Prince ou non, cela m’est égal, mais tu es brave, et tu ne dis pas vrai quand tu te crois sans amis. Me voici à tes côtés pour te le prouver à toi et aux autres. Et tu pourrais, par ma foi, trouver un ami moins sûr que Miles Hendon. Donc ne flageole point des jambes, petit, donne un peu de répit à ta mâchoire, et laisse-moi haranguer ces aboyeurs dans le langage qu’ils entendent.

Celui qui parlait ainsi était une espèce de don César de Bazan, dont le costume, l’air et la tournure faisaient ressortir la haute taille, les membres musculeux et la robuste charpente. Son pourpoint et son haut-de-chausse étaient d’étoffe riche, mais usés et montrant la corde, n’ayant plus que par endroits des restes de galons d’or terni et des lambeaux de dentelle effilée ; sa fraise était chiffonnée et déchirée ; la plume de son chapeau rabattu sur les yeux était brisée, délavée, et offrait un aspect lamentable ; il avait au côté une longue rapière dont le fourreau de fer était tout rouillé. Son allure, son accoutrement