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n’était plus le prince, choyé dans son palais, adoré par toute une nation ; il sentit qu’il n’était désormais qu’un pauvre, un misérable, un de ceux que la société rejette de son sein, un meurt-de-faim, un va-nu-pieds vêtu de haillons ; il vit qu’il était enfermé dans un antre de bêtes sauvages, accouplé à des mendiants, à des voleurs.

En même temps il perçut un bruit confus d’exclamations, de rixes et de cris qui lui paraissait monter dans l’escalier et s’approcher de la chambre où il était couché. Soudain, plusieurs coups précipités ébranlèrent la porte. John Canty cessa de ronfler, se frotta les yeux et demanda :

— Hein ! Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce que vous voulez ?

Une voix du dehors répondit :

— Sais-tu qui tu as assommé ?

— Non ; qu’est-ce que cela peut me faire ?

— Tu changeras de ton quand tu sauras qui. Gare à ton cou ! Si tu ne veux pas tirer la langue tout à l’heure, file au plus vite. L’homme est en train de rendre l’âme. C’est le Père André !

— Hein ! ça va mal alors Dieu nous fasse merci, s’exclama Canty.

D’un saut il fut debout, d’un cri il éveilla sa famille.

— Allons, qu’on se ramasse, commanda-t-il ; j’ai tout juste le temps de tirer mes grègues. Eh bien ! va-t-on rester là et se laisser prendre et pendre comme des imbéciles ?

Cinq minutes après, toute la tribu des Canty était dans la rue et cherchait son salut dans la fuite. John tenait le bras du prince serré dans sa main comme dans un étau et l’entraînait derrière lui dans l’allée