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au parquet. Elle était stupéfiée, suffoquée. Ses yeux démesurément ouverts se fixaient avec hébètement sur le prince. Quant à Canty, ce qu’il venait d’entendre lui avait donné un accès de fou rire. Sur la mère de Tom et sur ses deux sœurs l’effet produit avait été tout autre, au contraire. Leur effroi, leurs angoisses se traduisirent par l’expression chagrine et éperdue de leur visage. Elles s’élancèrent avec effarement vers le malheureux enfant, dont elles lisaient déjà le sort dans les regards menaçants de la vieille et de son fils.

— Oh ! Tom, pauvre Tom, pauvre petit !

La mère de Tom était tombée à genoux devant le prince, et, les deux mains appuyées sur les épaules d’Édouard Tudor, elle attachait sur lui ses grands yeux pleins de larmes.

— Ah ! mon pauvre enfant, dit-elle, tes folles lectures ont fait leur œuvre et t’ont pris le peu de cervelle qui te restait. Je te l’avais bien dit pourtant ; mais tu n’as pas voulu m’écouter. Pourquoi as-tu brisé le cœur de ta malheureuse mère ?

Le prince la regarda avec pitié, et d’une voix affectueuse :

— Votre fils n’est ni malade, ni fou, brave femme, dit-il. Calmez-vous. Il est au palais. Que l’on m’y ramène, et sur-le-champ, le roi mon père donnera l’ordre de vous rendre celui que vous regrettez.

— Le roi ton père ! Oh ! mon enfant, ne parle point ainsi. Tu ne sais pas ce que ces mots peuvent attirer de malheurs sur toi et sur nous. Tu veux donc nous perdre tous tant que nous sommes. Chasse ces rêves affreux. Recueille tes souvenirs égarés. Regarde-moi bien. Ne suis-je pas ta mère ; n’est-ce pas moi qui t’ai bercé, qui t’ai toujours aimé ?