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Puis la bande hideuse s’écoula, abandonnant dans les ténèbres celui qui était tombé et gisait inanimé.

Quelques instants plus tard, le prince se trouva dans l’affreux réduit de John Canty, qui avait fermé la porte au nez des derniers curieux. Une chandelle de suif, fichée dans le goulot d’une bouteille, éclairait d’une vague lueur le gîte repoussant et ceux qui l’occupaient. Deux jeunes filles, sales, crasseuses, mal peignées, étaient blotties dans un coin auprès d’une femme encore jeune ; elles avaient l’air hagard des animaux habitués à être battus et paraissaient s’attendre à une terrible averse de coups. Dans un autre coin se tenait accroupie une épouvantable vieille, aux cheveux gris pendant en désordre sur son visage, aux traits flétris par le vice et la boisson, pareille à une sorcière, les yeux haineux et les poings crispés. Ce fut à elle que s’adressa John Canty en entrant :

— Ne bouge pas, la vieille, dit-il avec un juron. Je vais te faire voir une drôle de mascarade. Donne-toi le temps de rire, tu lâcheras ensuite tes poings sur qui tu voudras. Approche ici, mauvaise herbe, répète ce que tu m’as dit, si tu t’en souviens encore. Allons, crache-nous ton nom. Hein ! Tu dis que tu es…

Le petit prince sentit affluer le sang à son cerveau. Il leva sur l’infâme personnage, qui osait l’apostropher, un regard ferme et indigné.

— Il faut que vous soyez dépourvu de toute éducation et de toute vergogne pour me commander de vous parler. Je vous le dis encore, comme je vous l’ai dit déjà, je suis Édouard Tudor, prince de Galles. Je vous ai donné l’ordre de me reconduire au palais. Faut-il vous le répéter ?

Cette réponse froide, hautaine, cloua la sorcière