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qu’exciter la pitié. Tous étaient silencieux, peinés ; personne n’eût osé sourire. D’ailleurs tous étaient profondément affligés du malheur qui frappait le jeune prince, si sincèrement aimé.

Le pauvre Tom mangeait avec ses doigts ; mais personne ne riait de sa gaucherie ou n’avait l’air de s’en apercevoir. Il regardait curieusement, attentivement sa serviette dont le tissu et le dessin étaient en effet merveilleux.

— Enlevez-la, s’il vous plaît, dit-il à lord Berkeley, la bouche pleine, je pourrais la salir.

Le premier gentilhomme héréditaire de la serviette obéit en faisant la révérence et sans prononcer une parole.

Tom examina ensuite les navets et la laitue, et demanda ce que c’était et si cela se mangeait. Car il n’y avait pas longtemps que ce légume et cette salade avaient été importés de Hollande en Angleterre. On lui répondit gravement, respectueusement, sans paraître étonné.

Au dessert, il se bourra les poches de noisettes. Personne n’eut l’air de s’en douter ; personne ne le contraria. Seulement, un moment après, il s’aperçut lui-même de sa maladresse, et chercha à la réparer en remettant une partie des noisettes sur la table, il avait compris qu’il venait de faire quelque chose qui ne convenait point à la dignité d’un prince.

Tout à coup il sentit les muscles de son nez se contracter, et il éprouva à l’extrémité de cet organe une très vive démangeaison. Il la supporta d’abord courageusement ; mais bientôt la titillation augmenta au point de devenir intolérable. Alors il éprouva un grand trouble. Il regarda, avec anxiété, le premier gentilhomme qui se tenait à sa droite, puis le premier