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Le premier mouvement de Tom fut d’étendre la main pour se verser de l’eau. Mais un serviteur habillé de velours et de soie le prévint, mit un genou en terre et lui présenta la coupe sur un plateau en or massif.

Tom la vida et s’assit. Il voulut tirer ses brodequins : un autre serviteur, également vêtu de velours et de soie, s’agenouilla à ses pieds pour l’en empêcher. Deux ou trois fois il essaya de se déchausser lui-même. Peine inutile : le serviteur devançait chacune de ses intentions. À la fin il se laissa faire et, poussant un soupir de résignation, il murmura :

— Si ça continue, ils vont m’offrir de respirer pour moi !

On lui avait mis des pantoufles, on l’avait enveloppé dans une superbe robe de chambre, et on l’avait couché. Il ne dormit pas. Il avait la tête trop pleine de pensées, et la chambre était d’ailleurs trop pleine de gens ; il ne pouvait chasser les unes qui s’obstinaient à envahir son cerveau ; il ne savait comment renvoyer les autres qui s’obstinaient, eux aussi, à l’obséder, à son grand dépit et au leur.

Après le départ de Tom, les deux lords étaient restés seuls. Ils s’interrogèrent quelque temps du regard, hochant la tête et arpentant le parquet ; puis lord Saint-John demanda :

— Franchement, que pensez-vous de tout ceci ?

— Hem ! hem ! Le roi n’en a plus pour longtemps ; mon neveu est fou, il sera fou quand il montera sur le trône et restera fou. Dieu protège l’Angleterre ; elle en aura bien besoin !

— Vraiment, sont-ce là vos prévisions ?… Mais… ne vous trompez-vous point sur… sur…

Lord Saint-John balbutia, hésita, et finit par