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— Embrasse-moi, prince. Pourquoi as-tu peur ? Ne suis-je pas ton père bien-aimé ?

— Vous êtes bon pour moi et je suis indigne de votre bonté, ô mon seigneur tout-puissant et tout miséricordieux. Mais… mais… ce qui me peine, c’est de penser que quelqu’un va mourir, et…

— Ah ! te voilà bien, oui, te voilà bien tel que tu es ! Je te reconnais à ton cœur, même quand ton esprit est souffrant, car tu es et tu restes généreux ; mais le duc s’est mis entre toi et moi ; je veux choisir un autre grand maréchal qui ne trahisse point les hauts devoirs de sa charge. Rassure-toi, prince, ne fatigue pas ta pauvre tête, ne t’occupe point de cette affaire.

— Sire, ce n’est pas moi qui demande sa mort ; ah ! que je voudrais, au contraire, qu’on lui laissât la vie !

— Laisse cet homme, prince, ne t’occupe pas de lui, c’est un infâme. Viens, embrasse-moi encore, et puis retourne à tes jeux, à tes amusements. Je suis malade, je suis las, j’ai besoin de repos. Va, suis ton oncle Hertford. Tu reviendras quand j’irai mieux.

Tom se laissa emmener. Il avait le cœur gros. Les dernières paroles qu’il venait d’entendre étaient pour lui comme le coup de la mort. Elles lui ôtaient tout espoir d’être mis en liberté. Un sourd bourdonnement frappa de nouveau son oreille ; c’étaient les voix qui répétaient : « Le prince ! voici le prince ! »

Son courage s’en allait à mesure qu’il traversait les files brillantes des courtisans inclinés devant lui. Une chose était sûre, c’est qu’il était prisonnier, enfermé à jamais dans cette cage dorée ; prince, soit, mais sans amis, délaissé, à moins que le ciel en sa merci n’eût pitié de lui et ne le rendît à la liberté.