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Une jeune fille, douce et belle, et richement costumée, s’élança vers lui. Mais elle s’arrêta soudain, et avec un accent de frayeur :

— Ah ! mon Dieu ! qu’avez-vous, mylord ? dit-elle.

Tom était près de suffoquer ; il rassembla tous ses efforts pour balbutier :

— Oh ! ayez pitié de moi ! Je ne suis pas lord, je ne suis que le pauvre Tom Canty d’Offal Court dans la Cité. Je vous en conjure, faites-moi voir le prince, qu’il me fasse la grâce de me rendre mes haillons, et de me laisser sortir d’ici sain et sauf. Oh ! par pitié, sauvez-moi !

Il s’était jeté à genoux, les yeux suppliants, les mains jointes, la prière sur les lèvres.

La jeune fille eut un saisissement.

— Oh, mylord, s’exclama-t-elle, vous à genoux ! et devant moi !

Puis elle s’enfuit épouvantée. Tom, accablé, s’affaissa en murmurant :

— Ils vont venir et m’emmener ! Plus de remède, plus d’espoir !

Tandis qu’il demeurait ainsi stupéfié, frappé de terreur, des rumeurs sinistres se répandaient dans le palais. Les chuchotements — car on ne faisait encore que chuchoter — se transmettaient, avec la rapidité de l’éclair, de domestique à domestique, de lord à lady, enfilaient les longs corridors, montaient d’étage en étage, pénétraient de salon en salon.

— Le prince est devenu fou ! Le prince est devenu fou !

Bientôt, dans tous les appartements, dans toutes les salles de marbre se formèrent des groupes étincelants de lords et de ladies, puis d’autres groupes brillants de gens de moindre condition, tous se parlant gravement à l’oreille, l’air vivement préoccupé.