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une fois rentré chez lui, ou si l’on se contenterait de hausser les épaules et de dire que les extravagances de son imagination lui avaient troublé la cervelle.

Au bout d’une demi-heure il lui vint tout à coup à l’esprit que le prince était parti depuis longtemps ; alors il commença à se sentir isolé, il tendit l’oreille, il tendit le cou, il laissa là les jolies choses qu’il avait sous les mains ; il devint inquiet, impatient, alarmé. Si quelqu’un allait entrer, le surprendre, le trouver vêtu des habits du prince, sans que le prince fût là pour donner des explications ! Ne le pendrait-on point sur-le-champ, quitte à ouvrir ensuite une enquête ? Il avait entendu dire que les grands vont vite en besogne, quand ils ont affaire aux petits. Sa frayeur augmentait de minute en minute, il tremblait de tous ses membres. Doucement il ouvrit la porte qui menait à l’antichambre. Il était décidé à fuir, à chercher le prince, à l’appeler au secours pour se faire relâcher. Six magnifiques gentilshommes attachés au service du prince et deux jeunes pages de haute lignée, beaux comme des papillons, bondirent sur leurs pieds et s’inclinèrent jusqu’à terre. Il recula brusquement de plusieurs pas et ferma la porte. Il se dit :

— Ces gens-là se moquent de moi. Ils vont tout rapporter. Pourquoi suis-je venu ici sottement jouer ma vie ?

Il arpenta le parquet, peureux, frissonnant, la mort dans l’âme, faisant le guet, tombant en arrêt au plus léger bruit.

Tout à coup la porte s’ouvrit, et un page vêtu de soie annonça :

— Lady Jane Grey.