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— Enlevez-le ! À l’abreuvoir ! À l’abreuvoir ! Lâchez les chiens ! Hardi, Lion ! Bien ça, Fangs !

Alors il arriva une chose qui jusque-là ne s’était jamais vue en Angleterre : la personne sacrée de l’héritier du trône fut grossièrement souffletée, rossée par la plèbe et harcelée par des chiens qui arrachaient ses vêtements à belles dents.

À la nuit, le prince se trouva au fond de la Cité, dans la partie bâtie, où les maisons se serraient les unes contre les autres. Il avait le corps tout contusionné, les mains en sang, et ses haillons étaient couverts de boue. Il allait, il allait, éperdu, affolé, défaillant et si harassé qu’à peine il pouvait mettre un pied devant l’autre. Il n’osait plus questionner personne, sachant d’avance qu’il n’obtiendrait pour réponse que des injures.

— Offal Court, murmurait-il à part lui, c’est bien le nom ; si j’y puis arriver avant d’être épuisé et de tomber, je serai sauvé, les gens me ramèneront au palais, ils prouveront que je ne suis pas des leurs, que je suis le vrai prince, et l’on me reconnaîtra.

Par moments ses pensées le ramenaient aux mauvais traitements que lui avaient fait subir les enfants de Christ’s Hospital, et il disait :

— Quand je serai roi, ils n’auront pas seulement le gîte et le pain, ils apprendront aussi à lire dans les livres ; à quoi sert d’avoir le ventre plein quand il n’y a rien dans la tête ni dans le cœur ? Je garderai de tout ceci un constant souvenir, afin que la leçon d’aujourd’hui ne soit pas perdue pour moi, et que mon peuple en profite à son tour ; car l’instruction calme les passions et engendre la bonté et la charité.

Les lumières commençaient à s’éteindre ; il s’était mis à pleuvoir ; le vent se levait ; la nuit allait être