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il était et demeurait le défenseur résolu des pauvres, des faibles et des opprimés ; il avait déclaré une guerre impitoyable aux abus et aux iniquités et il la menait vigoureusement et sans relâche. Il lui était déjà arrivé de relever un mot prononcé trop haut par un comte ou un duc et de faire trembler l’audacieux sous son regard.

Un jour, sa « royale sœur » lady Mary avait voulu lui faire certaines représentations sur les dangers qu’il y avait à pardonner à tant de gens qui méritaient d’être emprisonnés, pendus ou brûlés, et elle lui avait rappelé que, sous le règne de feu leur auguste père, les prisons du royaume avaient contenu jusqu’à dix mille détenus à la fois, et que sous ce même règne, admirable à tant d’égards, soixante-douze mille voleurs et bandits avaient péri de la main du bourreau. Tom avait eu un accès d’indignation, et d’un geste froid il avait commandé à lady Mary de se retirer dans ses appartements et de prier Dieu de changer la pierre qu’elle avait sous sa poitrine en un cœur humain.

Tom Canty pensait-il jamais au pauvre petit prince légitime qui l’avait traité avec tant d’affabilité et qui lui avait donné une preuve si évidente de sa générosité d’âme lorsqu’il l’avait vu réprimer l’insolence de la sentinelle postée à la porte du palais ? Oui, Tom pensait au prince, ou plutôt il avait pensé à lui les premiers jours de sa royauté, et surtout les premières nuits, quand il se trouvait seul, et quand il se demandait ce qu’était devenu son bienfaiteur. Alors il formait des vœux pour le retour de celui dont il ne faisait qu’occuper la place et à qui il était impatient, en ce moment-là, de restituer ses droits et ses magnificences.