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puis il y a les pâtés de boue… Oh ! la boue, il n’y a rien de plus délicieux ; on patauge, on se roule…

— Tais-toi ; tu me fais venir l’eau à la bouche. Si je pouvais, oh ! mais rien qu’une fois, une seule fois, m’habiller comme toi, courir pieds-nus, piétiner, me rouler dans la boue, sans que personne m’en empêche, sans qu’on me dise rien, il me semble que je sacrifierais la couronne…

— Et moi donc ? Si je pouvais rien qu’une fois, une seule fois, être beau comme vous, être ha…

— Tu voudrais ?… C’est dit. Ôte tes guenilles, et mets mes beaux habits. Ce ne sera qu’un bonheur d’un moment, mais je serai si content ! Fais vite, nous nous amuserons chacun à notre manière, et nous referons l’échange avant qu’on ne vienne.

Quelques minutes après, le petit prince de Galles avait endossé les nippes en loques de Tom, et le petit prince des pauvres, transformé des pieds à la tête, avait revêtu le splendide costume royal. Côte à côte, ils se regardèrent dans la grande glace. Ô miracle ! On eût dit qu’aucun changement ne s’était fait en eux ! Ils se contemplèrent ébahis, se toisèrent, se mirèrent, puis se regardèrent et se contemplèrent encore. À la fin, le prince embarrassé rompit le silence.

— Hein ! dit-il, que t’en semble ?

— Ah ! de grâce, que Votre Altesse ne m’oblige pas à répondre. Il n’appartient pas à un vil sujet comme moi…

— Tu n’oses pas ; eh bien, j’oserai, moi ! Tu as mes cheveux, mes yeux, ma voix, mon geste, ma taille, ma tournure, mon visage, mes traits. Si nous étions nus tous les deux, il n’y a personne qui pour-