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— Si je n’étais sûr de l’endroit où je l’ai trouvé, se dit-il, je jurerais sur le salut de mon âme que c’est le Roi lui-même qui vient de me parler. Qu’on le veuille ou non, il faut lui obéir. Il a un air de commandement, il impose sa volonté comme ferait le Roi en personne. Où donc a-t-il pu prendre ce ton et cette assurance ! Le voilà qui écrit et griffonne, et trace des pattes de mouche qu’il prend pour du latin et du grec… Et à moins de trouver en ma cervelle quelque échappatoire pour faire diversion à cette nouvelle lubie, je vais être obligé de faire semblant demain de partir à l’aurore pour m’acquitter de la haute mission qu’il me confie !

Cependant les idées de Miles le ramenèrent presque aussitôt à sa propre situation. Il s’absorba si complètement dans ses réflexions que lorsque le roi lui remit sa lettre, il la prit machinalement et la fourra dans sa poche sans savoir ce qu’il faisait.

— Quelle étrange conduite ! murmura-t-il. Elle a l’air de me reconnaître ! Et elle paraît avoir perdu tout à fait le souvenir de mes traits ! Il y a là deux choses contradictoires que je ne puis concilier en aucune manière, sans pouvoir nier l’une ni l’autre, car l’une et l’autre sont également incontestables. Il est impossible que mon visage, mes traits, ma voix aient changé au point de me rendre méconnaissable pour elle. Et pourtant elle a dit qu’elle ne m’a jamais vu, elle l’a dit et elle est incapable de mentir… Si… oui, j’y suis, j’aurais dû y songer plus tôt !… C’est lui qui l’aura menacée ; il l’aura contrainte à mentir. Toute autre solution est inadmissible. C’est la clef du secret. Il n’y en a pas d’autre. Elle était pâle d’effroi, j’ai cru qu’elle allait mourir. Elle aura eu peur, elle aura cédé à la force ; mais je la verrai